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MICHEL-ANGE.

séder tant de charmes, s’ouvrira pour recevoir parmi les esprits immortels et heureux le soleil de ma vie, c’est alors que vous pourrez vous fermer pour jamais.


MADRIGAL XV
Amor, perche mai forse…

Dans la froide saison qui suit l’été de l’âge, l’amour, pour empêcher ma flamme de s’éteindre, a de nouveau tourné son arc vers moi ; et le cruel ne cesse de m’accabler de ses traits, sachant que dans un cœur bien né nul de ses coups ne porte en vain. Par les charmes d’un beau visage, il ranime au sein d’un vieillard les feux de la jeunesse ; mais sa dernière atteinte est la plus dangereuse, et la rechute est pire que le mal.


MADRIGAL XVI
Amor, se tu se’dio…

Amour, si tu es un dieu, comme on le dit, si ton pouvoir est sans bornes, dégage mon cœur de tes liens. Épris d’une céleste beauté, me sied-il d’espérer sur le bord de la tombe ? Chacune de tes faveurs ajoute à mes tourments ; un plaisir court entraîne un long martyre, et jamais jouissance tardive n’a pu satisfaire le cœur.


MADRIGAL XVII
Quantunque il tempo…

Quoique le temps, chaque jour plus acharné à ma poursuite, me presse de rendre à la terre ma dépouille vieillie, languissante et mortelle, je ne suis point encore délivré d’un sentiment qui fait à la fois la perte et la joie de mon âme. Ni la mort qui s’avance, ni l’instant inconnu de son arrêt fatal, rien ne peut empêcher l’amour, cette erreur habituelle, de croître dans mon sein avec l’âge. Ô sort cruel ! sort à nul autre comparable ! il est trop tard désormais pour remédier à mes maux. La raison elle-même s’efforcerait en vain de rendre à son premier état un cœur qui brûla si longtemps, qui brûle encore et doit périr consumé.


MADRIGAL XVIII
Tanto alla speme…

Belle et sensible, celle que j’aime me flatte d’un espoir si doux, qu’à sa vue seule le feu de ma jeunesse semble ranimer mes vieux ans. Mais, hélas ! ce bonheur que donne le tendre regard d’une amante, la mort jalouse et cruelle vient à chaque instant le troubler par des pensées funestes. Si j’ouvre mon cœur à l’amour, ce n’est donc que dans les moments trop rapides où je puis chasser loin de moi le souvenir de la mort : bientôt, plus effrayant encore, il rentre dans ma pensée et glace d’un froid soudain ma douce ardeur.


MADRIGAL XIX
Se per mordace di…

Âme infirme ! chaque jour voit ta mortelle dépouille s’user et défaillir sous la lime mordante du temps. Quand iras-tu, libre de tes entraves, retrouver dans le ciel ton innocence et ta première joie ? Hélas ! mes jours s’abrègent ; le temps a blanchi ma tête ; et je ne puis me détacher encore de mes habituelles erreurs : plus je vieillis, plus elles s’enracinent et se fortifient. Ô mon Dieu ! je l’avoue avec trouble et confusion, c’est aux morts