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APPENDICES

affreux des maux, ne pouvant aimer qu’au prix de tant de souffrances. Ah ! si le ciel, en effet, s’ouvre aux amants comme un séjour propice, tandis que ce monde est pour eux plein d’amertume et d’ingratitude, qu’attendre ici-bas en aimant ? Une longue vie, peut-être. À cette seule idée, j’entre en effroi ; car peu de jours c’est encore trop, pour qui sert et souffre.


MADRIGAL X
Sotto due belle ciglia…

Dans l’âge où l’on brave les traits de l’amour, deux yeux charmants lui ont rendu sur moi son empire. Épris de tout ce qui est beau, je ne leur oppose, hélas ! qu’une résistance inutile. Mais à ce doux entraînement se mêle une pensée forte et terrible de repentir et de mort sans que l’amour cependant perde rien de son pouvoir sur mon âme, par l’image des maux plus cruels qui me sont encore préparés. Un seul jour ne peut vaincre un penchant fortifié par l’âge.


MADRIGAL XI
Non è senza periglio…

La vue de tes divins attraits est encore redoutable, même pour celui qui se sent, comme moi, poursuivi de près par la mort. Aussi cherché-je à me prémunir, à m’armer contre une si magique puissance. Mais, source délicieuse de mes amères douleurs ! quoique près du terme fatal, je sens que ta pitié ne peut me rendre à moi-même, ni l’effroi de la mort étouffer mon amour.


MADRIGAL XII
S’io fossi stato…

Si, dès mes jeunes ans, j’eusse prévu que la ravissante beauté dont je fus idolâtre dût, en pénétrant dans mon cœur, y allumer une flamme éternellement dévorante, avec quel empressement j’aurais moi-même privé mes yeux de la lumière ! Pour prix d’une folle erreur de jeunesse, je ne porterais point aujourd’hui dans mon sein une mortelle blessure. O vous qui résistez faiblement aux premiers assauts de l’amour, n’allez point accuser plus tard votre destin. Croyez-en mon expérience : les passions du jeune âge coûtent à l’impuissante vieillesse d’inutiles regrets.


MADRIGAL XIII
Non pur la morte…

Ce n’est pas la mort seule, mais encore l’effroi qu’elle inspire qui peut me sauver, me détendre de la beauté cruelle attachée à ma perte. Quand je sens redoubler en mon sein la flamme que j’y ai moi-même fait naître, pour unique ressource j’ouvre mon âme entière à la pensée de la mort ; car l’amour fuit son approche.


MADRIGAL XIV
Occhi, miei, sicte certi…

Vous le savez, mes yeux, le temps fuit ; déjà le moment approche où vos regards vont s’éteindre et vos pleurs se tarir. Ah ! par pitié pour vous-mêmes, restez ouverts au divin objet que j’adore, pendant qu’il daigne habiter ici-bas. Mais quand le ciel, jaloux de pos-