Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
INTRODUCTION

première Rotonde, il ne fallut pas moins de trois papes pour assister au lancement de ce monstre de pierre au plus haut ciel où les fleurs mêmes n’atteignent, que si les anges se chargent de les jeter du paradis. Ce fut un ange aussi qui put suffire à renouveler la science des Vitruve antiques et à signer, du nom de Michel-Ange, cette œuvre sur laquelle s’étaient épuisés ceux de Bramante et de San-Gallo. N’était-il pas juste que ce nom d’éternelle jeunesse signât ainsi dans les airs sa dernière œuvre, quand sa première dans Rome et dans ce même Saint-Pierre portait la seule signature que Michel-Ange se résolut, une seule fois, à laisser sur la ceinture virginale de cette si dolente et si belle Pietà dont l’immortalité a vaincu la mort même ? Ainsi le maître avait renouvelé, à vingt-cinq ans, l’art des Antiques et leur Laocoon douloureux par un autre art où la douleur humaine s’était enfin divinisée.

Avec cette coupole de Saint-Pierre, — la seule joie de ce mélancolique et perpétuel « Gladiateur mourant », — Michel-Ange avait posé dans les hauteurs de l’histoire cette borne à la gloire qui ne devait jamais plus être dépassée et ce défi aux travaux humains qui, s’ils ne sont encore d’Hercule, ne laisseront pas de compter celui de Michel-Ange comme le dernier qu’ait pu entreprendre un homme sans être un demi-dieu. Du bout de ses quatre-vingt-neuf ans, celui-ci, toujours droit sur son œuvre, fit patienter la mort jusqu’à ce qu’il eût posé la dernière pierre à son dôme de gloire et la première fleur à sa couronne, où n’avaient pas manqué les épines. Ce grand ouvrier, qui avait passé au travailles jours et les nuits mêmes d’une des plus longues vies qui soient accordées ici-bas, n’ayant plus rien à faire que de commencer à jouir d’une halte, préféra — à quelques mois près — le repos de la tombe à celui de l’atelier. Le soir du 18 février 1504, l’homme de fer ou de pierre que le plus terrible des papes, Jules II, avait appelé la Terribiliîa di Michelangelo, s’enveloppa dans son giubbone de manœuvre, plia ses maigres épaules de taille ordinaire, ferma ses petits yeux couleur de corne brûlée où crépitaient des escarbilles de flamme, courba sa tête au front labouré de sept rides et s’endormit pieusement dans le Seigneur, dont il avait représenté la puissance créatrice plutôt que la grâce féconde, mieux que ne fera jamais aucun autre homme, en son argile animée.

Une œuvre posthume restait de Michel-Ange, que quatre siècles de glorification perpétuelle semblent encore avoir ignorée. C’était un Michel-Ange par Michel-Ange lui-même qui, non content de sculpter et de peindre, — et jamais un portrait d’après la nature qui ne devrait se prêter qu’à l’interprétation idéale, — a pourtant tracé une silhouette de lui-même et d’une plume aussi maîtresse de ses expressions, que l’ébauchoir ou le pinceau le furent de leurs formes. Des nombreuses lettres qu’il écrivit à ses contemporains, les archives de Florence, de Rome et de Londres ont conservé les textes précieux d’où se dégage un Michel-Ange autrement expressif que celui qu’atténuerait tout commentaire livresque. C’est ce Michel-Ange nouveau que nous voudrions faire parler enfin lui-même, après tant d’historiographes intempérants qui ne nous ont révélé sa puissance personnelle qu’à travers leurs particulières et insuffisantes impressions. Traducteur et non traître, à notre tour, nous voudrions ne lui faire exprimer dans ses Lettres que ce qu’il a pensé et écrit ; trop heureux de la tâche que nos