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rempli notre vie ; et, par une singulière destinée, voilà que nous nous trouvions chacun à la tête d’une croisade ; M. de Bourmont commandant une belle armée, et préparant une expédition dans laquelle avait échoué le génie de Charles-Quint ; moi, achevant ma carrière d’historien par une expédition plus modeste, et partant avec le bourdon et la panetière pour rechercher les traces des croisés dont j’avais raconté les exploits. Notre position présente ne nous aveuglait ni l’un ni l’autre, et l’avenir se présentait souvent à nous à travers nos vieux souvenirs du Temple. Le général Bourmont était occupé des préparatifs de sa grande croisade, et ne pouvait guères avoir d’autres pensées. Pour moi, qui n’avais pas tant de préparatifs à faire, j’avais tout le temps de rêver à la fragilité des choses humaines. Je me rappelle que j’allai faire une dernière visite à M. de Bourmont à bord de la Provence. Lorsque je prenais congé de lui, il m’invita à diner pour le premier lundi de juillet, dans le palais du dey d’Alger. Cette invitation, qui était de si bon augure pour le succès de nos armées, ne pouvait manquer de me sourire ; mais la destinée n’a pas voulu que je prisse le chemin de la Casauba. Nous voilà séparés aujourd’hui par la mer, par les vents, demain peut-être par les orages de la politique, qui peuvent changea notre croisade en exil.

J’ai connu un temps où la gloire consolait de tout maintenant elle ne console plus de rien. Je