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mêlée avec la partie élémentaire, rend le tout un peu prolixe et confus. Z.

RESTIER (Antoine-Jérôme), l’un des comédiens les plus parfaits du dernier siècle, naquit à Lyon en 1726, de parents pauvres, qui n’avaient pas les moyens de lui donner un état. Aussi, dès son enfance, il entra dans une troupe de saltimbanques, où il fut sauteur et paillasse. Sa souplesse et sa gentillesse lui valurent, quelques années après, la permission de débuter comme danseur sur un théâtre de province ; mais il avait trop d’esprit et de gaieté pour s’en tenir longtemps a la pantomime : il chaussa le brodequin et prit l’emploi de premier comique. Il faisait partie de la troupe de Lyon avant 1756, où se lit l’ouverture du grand théâtre construit par Soulllot. Malgré son talent supérieur dans les valets et dans certains rôles spéciaux, tels que Tartufle, il adopta de bonne heure les manteaux et les financiers, qui convenaient mieux à son physique. Sur le bruit de sa réputation, on le désignait à Paris comme le double et successeur futur de Bonneval, qui a rempli cet emploi au Théâtre-Français jusqu’en 1773. Mais Restier rejeta les brillantes offres qu’on lui fit pour l’attirer dans la capitale, et ne voulut pas quitter Lyon, où il était chéri du public et admis dans les meilleures sociétés. Si dans les financiers, il parut inférieur à Desessarts et à Grandmesnil, qui avaient remplacé Bonneval, parce qu’il n’avait pas le gros ventre du premier ni l’air dur et insolent du second, il les surpassa incontestablement dans les manteaux et les grimes, auxquels son organe, sa physionomie et son grand nez se prêtaient admirablement. Personne n’a mieux joué Bernadille dans la Femme juge et partie, Orgon dans la Pupille et dans le Consentement force, Argante dans les Fourberiea de Scapin, Géronte dans le Lëgataire, etc., mais surtout Harpagon dans Pflvore, où il était inimitable, parce qu’il le jouait d’après nature. On raconte à ce sujet qu’ayant légèrement promis à un de ses amis de lui prêter de l’argent, il ouvrit un tiroir et fit rouler plusieurs piles d’écus. « Pauvres petits, dit-il. « vous criez ; vous ne voulez pas sortir ; en bienl « restez. » Et il referma son tiroir. Déjà plus que sexagénaire, Itestier quitta le théâtre peu de temps avant la révolution ; mais le parterre, n ayant pu goûter les médiocres acteurs qui l’avaient remplacé, finit par le redemander à grands cris. Alors Restier remonta sur la scène en 1790, et continua d’y recevoir les applaudissements jusqu’à l’époque du siége, en 1793. Arrêté pendant le régime de la terreur et traduit devant ses juges, il se tira d’ollaire par sa présence d’esprit : à J’espère, citoyens, dit-il a en terminant son petit plaidoyer, que vous s n’aurez pas l’ingratitude de faire pleurer ces lui qui vous a tant fait rire. » Toutefois, emmené prudemment à Strasbourg par un de ces camarades, il ne revint à Lyon qu’après que l’orage fut passé. Il reparut sur la scène malgré son grand âge ; mais il retourna bientôt dans sa maison de campagne, à la Croix-Rousse, où il termina sa carrière le 16 mars 1803. A-t.

RESTIF DE LA BRETONNE (Nicolas-Edme), écrivain cynique et bizarre par système, fut à coup sur l’un des plus singuliers réformateurs que produisit le 18e siècle. Il naquit, le 22 novembre 1734, à Sacy, près d’Auxerre, de bons et honnêtes cultivateurs[1]. La délicatesse de sa santé le rendant peu propre aux travaux de la campagne, ses parents résolurent de l’envoyer à l’école afin de le mettre en état de remplir quelque emploi. Il n’eut guère d’autre maître que son frère aîné, curé de Courgis, respectable ecclésiastique, qui lui donna des leçons de grammaire française et latine. Au surplus, il montrait un grand désir d’apprendre et dévorait indifféremment tous les livres qui lui tombaient entre les mains. À dix ans, il composait déjà de petits romans qu’écoutait avec beaucoup d’intérêt son auditoire, formé de domestiques et de ses camarades d’école. Son tempérament ardent se développa de bonne heure, et il n’avait pas quinze ans lorsque ses parents furent forcés de l’éloigner pour mettre fin à des intrigues qui pouvaient avoir des suites fâcheuses. Placé comme apprenti chez un imprimeur d’Auxerre, il séduisit a femme de son maître, fut chassé, et, n’osant pas retourner dans sa famille, il vint à Paris avec fort peu d’argent, mais apportant le plan de quelques ouvrages dont il se flattait de tirer un grand parti. La misère à laquelle il se trouva bientôt réduit l’obligea de former des liaisons et de contracter des habitudes avilissantes dont il ne put jamais se corriger et qui n’ont en que trop d’influence sur ses compositions. Après avoir vécu quelque temps du produit de divers métiers ignobles, il finit par trouver de l’ouvrage dans une imprimerie, et il profita des facilités que lui donnait sa position pour publier quelques romans mal écrits et mal digérés, mais dans lesquels on reconnaît néanmoins de la sensibilité, de l’imagination et un style à la fois naturel et énergique. Le succès de ses premières productions acheva de lui tourner la tète. Se regardant comme un homme d’un génie supérieur, il quitta l’imprimerie pour faire des livres qui lui coûtaient d’autant moins qu’il était persuadé, comme dit Laharpe (Correspond. russe), que tout ce qu’il avait vu, tout ce qu’il avait pensé, tout ce qu’il avait appris, méritait d’être imprimé. Admirateur passionné de J. J. Rousseau, dont il affectait toutes les singu-


  1. Malgré l’aversion de Restif pour les préjugés, il n’était point insensible aux avantages de la naissance ; il revient souvent sur sa généalogie et apprend à ses lecteurs qu’il comptait parmi ses ancêtres des Cœurs-de-roi, des Bertro et même des Courtenai. Ailleurs il veut prouver qu’il descend de l’empereur Pertinax, puisque ce mot n’a pas d’autre sens en latin que celui de rétif en français.