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ques des Grecs étaient loin des mœurs domestiques du 14e siècle. Ce n’est point l’amour platonique qui anime le poète, c’est l’amour tel que le christianisme et la chevalerie l’avaient fait. Cet amour, que la corruption de notre âge a nommé surnaturel, est bien autrement poétique que les feux matériels de Properce et d’Ovide. Il manque de mouvement et de variété ; mais il a une chaleur vraie et pénétrante, une élévation qui va jusqu’au sublime, une pureté qui a quelque chose de céleste. Pétrarque, le premier et longtemps le seul de tous les poètes, a fait de l’amour une vertu. L’italien, créé par le Dante, n’avait guère conservé après lui que cette rudesse un peu sauvage que nous pardonnons avec peine à quelques morceaux de son Enfer. Pétrarque se fit à lui-même sa langue, comme Dante s’était fait la sienne ; ses tours sont presque aussi hardis : il retrouva surtout ces couleurs gracieuses, cette délicieuse harmonie avec laquelle Dante a raconté les malheurs de sa Francesca, et depuis la publication du Canzoniere, l’idiome italien n’eut rien de barbare. Quand on lit les vers de Pétrarque, on croit entendre les frémissements de sa lyre ; partout le poète en tire des sons d’une ineffable douceur. Dans la première partie, lorsqu’il chante les perfections de Laure, son expression devient rêveuse ou extatique ; dans la seconde, lorsqu’il pleure son amie, ses chants ont un accent pénétrant et solennel. Quelquefois il prète son luth aux leçons de la philosophie. Ailleurs, c’est la harpe hébraïque qui fait entendre les malédictions des prophètes, ou bien c’est une muse romaine qui gémit sur l’abaissement et les malheurs de la patrie. Ceux qui aiment les rapprochements ont remarqué que ses sonnets rappellent par leur forme quelques-unes des petites odes d’Horace, et, pour la grâce comme pour la simplicité des détails, la manière du poète de Téos. C’eut à ses devanciers que Pétrarque devait ce genre de poésie ; mais c’est lui qui a rendu ces petits poèmes plus parfaits et plus difficiles, et les lois qu’il leur a données n’ont reçu jusqu’à ce jour aucune atteinte. Ses Canzoni, titre qu’il ne faut pas traduire comme Voltaire par celui de Chansons, sont des odes dont il emprunta la forme à nos troubadours, mais en les élevant à toute la hauteur du genre lyrique. Les Italiens ont épuisé toutes les formules de l’admiration sur celles que Pétrarque parait avoir préférées et qu’il appelait les trois Sœurs, comme ses commentateurs les ont appelées les trois Grâces. Les yeux de Laure font le sujet de ces trois odes, qui sont les 18e, 19e et 20e du recueil. Quelle que soit la perfection du style qui les distingue, un lecteur français comprendra toujours avec peine la longue superstition littéraire dont elles ont été l’objet. Les esprits graves préféreront sans doute la canzone sur la croisade, que nous avons déjà indiquée (la 5e), et cette ode si nationale où le poète re

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trace en traits de feu l’oppression de sa chère Italie, et nous la montre sanglante et mutilée, mais encore pleine de sa gloire et capable de guérir ses blessures (canzone 29) ; l’une et l’autre si peu connues de ces littérateurs superficiels qui n’ont vu dans un homme de génie qu’un faiseur de madrigaux. Tous ceux qui savent la langue de Pétrarque ont cité avant nous parmi les monuments de son amour les sonnets célèbres Solo e pensoso dans la première partie et Le commi il mio pensier, dans la deuxième, et tant de canzoni non moins fameuses, parmi lesquelles on n’ose pas choisir. Nous rappellerons seulement la 37e, dont la première strophe a été si heureusement imitée par Voltaire, qui n’a pas jugé Pétrarque avec le même bonheur. M. Sismondi s’est montré de nos jours moins léger, mais presque aussi sévère. La monotonie qu’il a reprochée à Pétrarque n’est-elle pas le défaut du genre encore plus que celui du poète ? L’amant de Laure se plaint, puis il se plaint encore, et cette plainte éternelle fatigue sans doute quelquefois ; mais l’amour aime les redites, et Pétrarque a varié autant qu’il était en lui ce fond uniforme par des tableaux de la vie champêtre qui sont pleins de naturel et de charme, ou par de hautes pensées religieuses. Ce n’est pas que ses poésies et ses sonnets surtout aient toujours échappé au goût de son siècle. Trop souvent il n’est qu’ingénieux et même recherché ; mais lorsqu’on relit la seconde moitié du Canzoniere, qu’on préfère assez généralement à la première, il n’y a qu’une extrême injustice qui puisse ne voir qu’un jeu d’esprit dans cette douleur si vraie et si profonde et dans le sentiment qui l’avait inspirée. - L’édition la plus complète des Œuvres de Pétrarque est celle de Bâle, 1581. in-fol. (1) [1]. C’est celle que nous avons suivie dans l’indication de ses pièces les plus remarquables : il y manque un certain nombre de lettres, comprises dans celle de Genève, 1601 ; mais on y trouve l’Itinerarium Syriacum, oublié par l’abbé de Sade dans la liste des ouvrages de Pétrarque, et qui atteste toute l’étendue des connaissances du poète en géographie (2) [2]. La plus ancienne édition des œuvres latines porte aussi le nom de Bâle, 1496, in-fol. C’est dans les bibliothèques d’Italie qu’il faut chercher ses lettres et ses manuscrits autographes. Sa harangue au roi Jean et celle qu’il prononça comme ambassadeur de J. Visconti devant le sénat de Venise sont conservées parmi les manuscrits de la bibliothèque impériale de Vienne ; plusieurs de ses lettres, dont quelques-unes inédites, sont dans la bibliothèque de Paris. Le traité De remediis

  1. (1) La bibliographie des œuvres nombreuses et diverses de Pétrarque, si souvent réimprimées et traduites, pourrait être fort longue, mais nous nous bornerons à un aperçu sommaire, en renvoyant pour plus amples détails au Manuel d’un libraire de M J.-Ch. Brunet, t. 3, P. 691.711.
  2. (2) Cet itinéraire se trouve aussi dans l’édition latine de ses Opuscules historiques, 1601, 15-16.