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vertueux et éclairé, Urbain V, essaya de le rappeler à sa cour en lui conférant un canonicat à Carpentras. Cette légère faveur suffit à Pétrarque pour presser le saint-père dans une lettre longue et véhémente de faire cesser le veuvage de l’Eglise romaine, et, avant la fin de l’année suivante, il put le féliciter d’avoir enfin comblé ses vœux. Cependant le cri de haine qui s’élevait partout contre les Visconti avait armé contre eux le nouveau pontife et avec lui la moitié de l’Italie menacée par leur ambition. Bien moins frappé de ce danger que de la guerre qui allait livrer sa patrie aux ravages d’une soldatesque étrangère, Pétrarque fut chargé par Galéas de conjurer l’orage, et ce fut la dernière, comme la plus infructueuse de ses ambassades. La chaleur avec laquelle il défendait cette famille n’ôta rien à la faveur dont il jouissait à Rome. Urbain voulut le voir, et Pétrarque s’empressait de répondre à une invitation conçue dans les termes les plus pressants et les plus flatteurs, lorsqu’une maladie terrible vint le surprendre à Ferrare. Sauvé par les soins des seigneurs d’Este, qui régnaient sur ce pays, il ne put reprendre assez de forces pour continuer sa route ; il revint à Padoue couché dans un bateau et s’établit à quatre lieues de cette ville, au village d’Arqua, situé dans les monts Euganéens, célèbres chez les Romains par la salubrité de l’air, l’abondance des pâturages et la beauté des vergers. Bientôt le poète y reprit avec ses travaux toute l’imprudence de son régime de vie. Occupant à la fois jusqu’à cinq secrétaires, il s’épuisait d’austérités, se bornait à un seul repas composé de fruits ou de légumes, s’abstenait de vin, jeûnait souvent, et, les jours de jeûne, ne se permettait que le pain et l’eau. Une nouvelle imprévue troubla encore sa convalescence : Urbain V avait préféré le paisible séjour d’Avignon aux tumultueuses agitations de Borne, et il était revenu mourir en France. Grégoire XI, son successeur, qui n’aimait pas moins Pétrarque, choisit pour son légat en Italie Philippe de Cabassole, devenu archevêque de Jérusalem et cardinal. Mais ce prélat mourut presque en arrivant à Pérouse, et Pétrarque ne put revoir le plus ancien de ses amis. Le poète parut se ranimer en recevant un libelle publié par un moine français contre sa lettre de félicitation au pape Urbain et s’abaissa encore une fois à réfuter une invective par des injures. François de Carrare, abandonné par ses auxiliaires, venait de conclure une paix humiliante avec Venise. Forcé d’envoyer son fils demander pardon et jurer fidélité à la république, il pria Pétrarque de l’accompagner et de porter pour lui la parole devant le sénat. Pétrarque, malade et septuagénaire, ne se souvint que de sa vieille amitié pour les seigneurs de Padoue et se rendit avec le jeune Carrare à Venise. Le lendemain, ils eurent audience ; mais le vieillard, fatigué sans doute et peut-être troublé par la majesté de l’assemblée, ne put

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prononcer son discours. Le jour suivant, il s’enhardit, et sa harangue fut vivement applaudie. Ce dernier succès fut pour lui le chant du cygne. Il revint à Arqua plus faible et toujours indocile aux conseils des médecins. Boccace, qui semblait lui tenir lieu de tous les amis qu’il avait perdus, lui envoya son Décaméron, et Pétrarque le lut, dit-on, avec enthousiasme. Il apprit par cœur la nouvelle de Grisélidis, la traduisit en latin, et la lettre par laquelle il annonce à Boccace l’envoi de cette traduction parait avoir été la dernière qu’il ait écrite. Le 18 juillet 1374, il fut trouvé mort dans sa bibliothèque, la tête courbée sur un livre ouvert : une attaque d’apoplexie l’avait frappé dans cette attitude. Padoue tout entière vint assister à ses obsèques. François de Carrare conduisait la pompe funèbre, suivi de sa noblesse et d’une population consternée. La famille du poète lui fit élever un mausolée de marbre devant la porte de l’église d’Arqua. Son testament, dans lequel on a relevé comme des singularités quelques saillies innocentes sur les goûts de quelques-uns de ses légataires, n’a de remarquable qu’une disposition en faveur de Boccace ; il lui lègue cinquante florins d’or pour acheter une robe d’hiver nécessaire à ses études et à ses veilles, et il a honte d’offrir si peu de chose à un si grand homme : Verecunde admodum tanto viro tam modicum. Le nom de Pétrarque est lié à tous les noms célèbres du 14e siècle ; il se trouve mêlé à presque tous les événements qui ont signalé cet âge mémorable, et dans celle vie si pleine et si diversement agitée, les seuls reproches qu’il ait mérités sont le plus bel éloge de son caractère. Il était né poète, et il le fut partout, dans ses études, dans ses missions politiques, dans son amour, dans ses entretiens, dans ses lettres. L’amour même de la patrie ne fut guère en lui qu’un rêve poétique ; mais ce fut le rêve de toute sa vie. Dans l’enivrement de la gloire comme au milieu des pertes les plus cruelles, l’ancienne Italie fut toujours présente à sa pensée. Excusable sans doute en ces temps de triste mémoire d’avoir cherché dans le souvenir du passé un asile contre les désordres de son siècle, il puisait sans cesse dans son culte peur l’antiquité des inspirations généreuses et des illusions jusqu’alors innocentes. Ces illusions l’égarèrent plus d’une fois dans le choix de ses amis : sa candeur le livrait sans défense aux calculs d’une politique astucieuse qui s’armait contre lui de ce beau nom d’Italie, ou des bienfaits intéressés qu’elle accordait aux lettres ; mais il traversa les cours de tous ces petits tyrans italiens sans que personne ait accusé son caractère soupçonné sa mémoire. Ses mœurs n’ont pas été entièrement pures ; mais elles ne furent jamais corrompues. Il avait eu dans sa jeunesse une fille naturelle, prés de laquelle il mourut après l’avoir mariée, et son fils, auquel il survécut, ajouta longtemps aux regrets qu’avait laissés dans l’âme de Pétrarque le sou-