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l’image d’une colombe se plaignant de la résistance que lui oppose l’élément qui la soutient, et se persuadant que, si elle cessait d’être gênée par l’air, elle volerait beaucoup mieux dans le vide. Kant ayant donné aux lois pures et subjectives de notre faculté de connaître, et aux recherches dont elles sont l’objet, la qualification de transcendantales, sa doctrine en a reçu le nom de philosophie transcendantale. Nous en terminons ici l’esquisse, telle que son auteur l’a exposée dans la Critique de la raison pure, celui des ouvrages de l’esprit humain où il a peut-être montré le plus de hardiesse, de profondeur et d’indépendance. On voit qu’en résumé le but de cette philosophie est d’examiner la possibilité, la nature, les limites de notre savoir ? et son résultat de représenter ce savoir comme exclusivement et immuablement borné au domaine des perceptions sensibles. L’illusion et l’erreur commencent aussitôt que nous prétendons appliquer cette manière subjective de voir aux, objets tels qu’ils sont en eux-mêmes. Kant comparé le domaine qu’il nous est possible de connaître et d’exploiter à une île riante et féconde, mais environnée d’un océan brumeux et d’écueils insurmontables. Si la raison théorétique, au lieu de borner sa tâche et ses prétentions à aider les autres facultés cognitives à bien explorer et cultiver le sol de cette habitation insulaire, veut diriger son vol ambitieux sur les ailes de ses idées pures dans d’autres régions ; si elle s’imagine pouvoir, en pilote habile, traverser la mer orageuse qui environne le domicile circonscrit assigné à l’homme par son créateur, elle ne trouve que chimères et dangers, et perd en vaines tentatives un temps qu’elle aurait dû employer à aiguillonner les facultés d’observer et de concevoir, et à les seconder dans leur travail, le seul fructueux, puisqu’il porte sur des objets accessibles aux sens. À ce grand ouvrage fondamental se rapportent deux autres écrits de Kant : 2° Prolégomènes, ou Traité préliminaire à toute métaphysique qui voudra désormais prétendre au titre de science, 1783 (c’est la Critique reprise en sous œuvre et exposée analytiquement), et Principes métaphysiques de la science de la nature, 1786 ; Critique de la raison pratique (Riga, 1787, 1 vol. in-8o), c’est-à-dire, Examen des procédés et des droits de la raison, en tant qu’elle exerce une puissance législative sur le domaine de la liberté morale, Kant indique, dans ce dernier ouvrage, la seule des choses en elles-mêmes qu’il soit donné à l’homme de percevoir, de voir immédiatement, et qui devient ainsi l’anneau qui le lie au monde invisible ? c’est la conscience de la loi morale, source auguste et mystérieuse du sentiment du devoir. Comme elle renferme certains principes absolus qui règlent la volonté et les actions de l’homme, Kant l’a nommée la raison pratique. Dans ce sanctuaire de son être moral, l’homme reconnaît immédiatement qu’il est libre, c’est-à-

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dire qu’il possède un arbitre exempt de toute nécessité, et qui le constitue personne morale ou responsable de ses actions. Dans ce sentiment fondamental, où le moi est en contact avec lui même, sans aucun intermédiaire, et où il est à la fois objet et sujet, l’homme trouve deux lois principales, qui s’annoncent comme régulatrices de sa volonté : l’une qui le porte, à rechercher son propre bien-être, et l’autre qui lui commande impérativement de faire le bien, d’être vertueux sans restriction, et même aux dépens de son bien-être. Cette loi, qui oblige au bien l’être doué de raison, est, en dernière analyse, le principe de généralisation qui sert de fondement à tous les procédés syllogistiques, mais qui, sans autorité constitutive sur le terrain des pouvoirs intellectuels, exerce légitimement sa puissance souveraine dans la sphère des actions morales. Kant l’appelle l’impératif catégorique de la conscience, et l’exprime par cette formule ;

« Regarde
« constamment et sans exception l’être intelli-
« gent comme étant à lui-même son propre but,
« et comme ne devant jamais devenir simple
« moyen pour les fins d’autrui, »

et par cette autre formule :

« Agis toujours de telle sorte
« que le motif prochain ou la maxime de ta vo-
« lonté puisse devenir règle universelle dans
« une législation obligatoire pour tous les êtres in-
« telligents. »

(Voyez Kant, Crit. de la raison pratique, § 7, p., 54.) Ces principes portent le nom de lois pratiques formelles, parce qu’ils ne reposent sur aucune expérience, et qu’ils ne proposent à la volonté aucun but matériel, c’est-à-dire aucune des jouissances attachées à l’impression d’objets extérieurs, ou liées aux modifications que subit le sens intérieur. La règle générale, obligatoire pour la volonté, n’est qu’une application de la forme de la raison aux actions humaines. Cette forme consiste dans le besoin d’unité absolue, et dans la faculté de lui tout subordonner ; il découle de là que la raison, exerçant sa puissance normale, prescrit à la volonté de réaliser l’unité dans ses résolutions, c’est-à-dire de ne point tenir compte des affections, des goûts, des vœux, des avantages, des intérêts et des besoins provenant de la nature sensible ou de la position particulière des êtres intelligents ; en un mot, de ne point s’abandonner à l’influence des principes matériels (tirés des impressions extérieures), mais de se conformer, dans ses déterminations, à des vues qui conviennent aux intérêts de tous les êtres doués de raison, et qui puissent servir de principes législatifs universels. La raison présente donc sa propre forme à la volonté comme unique mobile vraiment moral de ses décisions, et devient pratique en faisant adopter son principe d’unité par la volonté de l’homme pour règle dominante des actes de sa liberté. L’organisation physique de l’homme étant une des conditions auxquelles étaient attachés le réveil de la conscience du moi, la mise en activité