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l’Italie. Antoine jouit de la lâche satisfaction d’attacher la tête et la main droite de Cicéron sur cette tribune aux harangues, si souvent témoin du triomphe de son éloquence. Après avoir fait périr leurs ennemis dans Rome, Antoine et Octave marchèrent en Macédoine contre Brutus et Cassius, et, dans la première bataille de Philippes, Antoine commanda la division opposée à Cassius. Après une action sanglante, il mit les soldats de Cassius en déroute et le contraignit à se tuer. Dans la seconde action, ce fut principalement lui qui obligea Brutus à prendre aussi ce parti désespéré. Outre de grands talents militaires, il montra une générosité d’autant plus remarquable qu’elle formait un contraste absolu avec la cruauté de son lâche collègue. Lucilius, qui, en se rendant à des soldats thraces de l’armée d’Antoine. leur avait dit qu’il était Brutus, afin de donner à celui-ci le temps de fuir, fut conduit devant le vainqueur. Loin de témoigner du courroux de cette louable supercherie, Antoine félicita hautement Lucilius de sa fidélité, l’embrassa et le traita comme un ami. Il fit paraître aussi une grande sensibilité à l’aspect du cadavre de Brutus, jeta dessus son riche manteau, et ordonna qu’on l’ensevelit honorablement. Antoine s’avança ensuite dans la Grèce, et s’arrêta quelque temps à Athènes, où il fréquenta les écoles publiques et le gymnase, s’efforçant, par des égards et des marques de faveur, de plaire à cette ville, illustre encore dans sa décadence. De là il entra en Asie, où il se livra sans réserve à son goût pour la magnificence et la volupté. Il traita avec beaucoup de douceur les partisans de Brutus qui tombèrent dans ses mains ; mais il rançonna impitoyablement plusieurs villes, et donna, sans aucun scrupule, les biens d’un grand nombre de citoyens riches et paisibles à ses parasites et à ses bouffons. Quand il fut en Cilicie, il enjoignit à la fameuse Cléopâtre, reine d’Égypte, de rendre compte de sa conduite, qui avait déplu aux triumvirs ; mais sa présence le captiva tellement qu’il ne put jamais, par la suite, rompre le charme, et cette circonstance fut décisive pour sa destinée. Il accompagna cette princesse dans Alexandrie, où il vécut avec elle dans une dissipation continuelle, oubliant absolument ce qui se passait dans le reste de l’univers. Cependant des dissensions éclatèrent entre Octave et Fulvie, restée à Rome ; elle s’unit à Lucius, frère de Marc Antoine, rassembla quelques légions à Préneste, et, se mettant a leur tête, commença les hostilités. Il s’ensuivit une guerre de peu de durée, qui fut terminée à l’avantage d’Octave, avant qu’Antoiue arrivât en Italie, où il avait enfin jugé sa présence nécessaire. La mort de Fulvie, qui s’était avancée jusqu’à Sycione au-devant de son mari, facilita une réconciliation, qui fut complétée, du moins en apparence, par le mariage d’Antoine avec Octavie, sœur chérie d’Octave, et dont le caractère inspirait l’amour et l’estime. Les deux maîtres de l’empire en firent alors un nouveau partage. Tout, jusqu’à l’est de Codropolis en Illyrie, appartint à Octave ; Antoine eut l’Orient ; et, pour ne pas paraître oublier tout à fait le faible et insignifiant Lépide, on lui donna l’Afrique. Un accord avec Sextus Pompée, qui dominait sur la Méditerranée, fut un nouveau pas fait vers le rétablissement de la tranquillité publique. Antoine retourna ensuite en Grèce. Il passa l’hiver dans Athènes, au milieu des fêtes, et envoya son lieutenant Ventidius contre les Parthes qui avaient fait de grands progrès dans les provinces romaines d’Asie. Ventidius eut des succès qui excitèrent la jalousie d’Antoine, de sorte qu’après l’avoir rejoint devant Samosate, il se débarrassa de lui en l’envoyant recevoir à Rome les honneurs du triomphe. Antoine, après une campagne peu glorieuse, revint à Athènes, et fit presque aussitôt voile pour l’Italie, à la sollicitation d’Octave, que Sextus Pompée, qui avait repris les armes, pressait vigoureusement. Par la médiation d’Octavie, une parfaite intelligence sembla régner entre les deux triumvirs ; mais la passion d’Antoine pour Cléopâtre vint de nouveau jeter entre eux la dissension. À son retour en Asie, il foula aux pieds toute décence, en menant avec cette reine la vie la plus scandaleuse : il alla jusqu’à compromettre les intérêts de l’État par les dons qu’il lui fit avec profusion de provinces et même de royaumes entiers, et par les injustices qu’il commit à son instigation. Il marcha de nouveau contre les Parthes ; mais après avoir perdu beaucoup d’hommes et de munitions, il fut contraint à une honteuse retraite. Il termina la campagne en faisant prisonnier, par trahison, Artasasdes, roi d’Arménie, et il le mena en triomphe dans Alexandrie. La vertueuse Octavie, qui était venue de Rome avec des renforts d’hommes et des vêtements pour les troupes, ne put se réunir à lui. Elle était encore à Athènes lorsqu’Antoine, cédant aux conseils de Cléopâtre, lui ordonna de s’en retourner. Octave ne manquait pas de se prévaloir de la mauvaise conduite d’Antoine, et d’exciter contre lui le mécontentement des Romains. La guerre entre ces rivaux de puissance devint inévitable, et des deux côtés on s’y prépara ; mais Antoine, plongé dans les plaisirs, n’agissait guère en homme dont les plus chers intérêts étaient en danger. L’île de Samos, rendez-vous général de ses troupes, était remplie de musiciens, de bateleurs et de tous les agents de ses débauches ; les affaires sérieuses cédaient aux divertissements continuels auxquels Cléopâtre et lui se livraient avec les princes et les rois de leur parti. Pour mieux montrer son ressentiment contre son ennemi, il divorça publiquement avec Octavie et lui ordonna de quitter sa maison de Rome. L’impression que cette conduite fit sur les amis d’Antoine fut telle que quelques-uns l’abandonnèrent ; les manières impérieuses et hautaines de Cléopâtre y contribuèrent aussi beaucoup. Enfin, dans Rome, on déclara la guerre à la reine d’Égypte, et Antoine fut privé de son consulat et de son gouvernement. Chaque parti rassembla ses forces de terre et de mer, et le golfe d’Ambracie devint le théâtre de cette grande querelle. Tandis qu’Antoine était à Actium, le pressentiment. de sa ruine prochaine engagea plusieurs personnes de distinction à se rendre auprès de son ri-