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surrection. Le directoire fit instruire sans délai le procès des prisonniers. Drouet, qui était député, ne pouvant, aux termes de la constitution, être jugé que par une haute cour de justice, composée de jurés nommés par les assemblées électorales des départements, tous ses coaccusés furent traduits avec lui devant cette même juridiction. La cour eut ordre de s’assembler à Vendôme ; des forces considérables furent dirigées sur cette ville, et l’accès en fut défendu à dix lieues à la ronde. Les débats s’ouvrirent le 2 février 1797, et durèrent trois mois. Babeuf montra une grande fermeté ; il se défendit en homme de cœur et de conviction ; mais ses juges lui imposèrent silence toutes les fois qu’il voulut suivre l’accusation sur le terrain des principes. Le 26 mai, le jury rendit un verdict de culpabilité. Babeuf et Darthé furent condamnés à mort et se poignardèrent sous les yeux du tribunal pendant le prononcé de l’arrêt. Le lendemain, on les porta expirants sur l’échafaud. Sept de leurs coaccusés furent déportés, et tous les autres acquittés. — L’égalité absolue et la communauté des biens, tels étaient les principes fondamentaux du système de Babeuf ; ils se trouvent nettement formulés dans le manifeste dont nous avons fait mention plus haut. « La nature, y est-il dit, a donné à chaque « homme un droit égal à la jouissance de tous les biens. Le but de la société est de défendre cette égalité souvent attaquée par le fort et le méchant dans l’état de nature, et d’augmenter, par le concours de tous, les jouissances communes. La nature a imposé à chacun l’obligation de travailler ; nul n’a pu « sans crime se soustraire au travail. Les travaux et « les jouissances doivent être communs. Il y a oppression quand l’un s’épuise par le travail et manque de tout, tandis que l’autre nage dans l’abondance sans rien faire. Nul n’a pu sans crime s’approprier exclusivement les biens de la terre ou « de l’industrie. Dans une véritable société, il ne doit y avoir ni riches ni pauvres. Les riches qui ne veulent pas renoncer au superflu en faveur des in digents sont les ennemis du peuple. Nul ne peut, par l’accumulation de tous les moyens, priver un autre de l’instruction nécessaire pour son bonheur : l’instruction doit être commune. » (Analyse de la doctrine de Babeuf.) — Il était impossible de mettre ces principes en action sans bouleverser de fond en comble le gouvernement et la société ; mais Babeuf ne reculait pas devant cette nécessité. Voici quel était son plan d’organisation politique et sociale. — « Le peuple français, une fois déclaré propriétaire unique du territoire national, le travail individuel devenait une fonction publique et réglée par la loi. Les citoyens, répartis en diverses classes, se trouvaient tous chargés d’une somme de travail exactement pareille : quant aux fonctions incommodes, elles devaient être exercées à tour de rôle. Le pouvoir social, représenté par les magistrats nécessaires, avait mission d’équilibrer l’ensemble de la production, de fixer le mouvement de la circulation et du commerce extérieur, de veiller à la répartition, faite par rations égales à chaque citoyen, des produits généraux réunis dans les magasins publics. L’effort constant de la législation devait être de ramener les mœurs à la simplicité primitive. Bientôt l’on aurait vu les hommes, abandonnant ces villes populeuses nées des besoins de la civilisation, se disséminer d’une manière plus égale et se grouper d’un bout à l’autre du territoire en de simples et modestes villages. » —« Les membres du comité, » dit Buonarotti, qui a publié un résumé des discussions qui eurent lieu chez Babeuf, « convaincus « que rien n’importe moins à une nation que de briller et de faire parler d’elle, voulaient enlever à la fausse science tout prétexte de se dérober aux devoirs communs, et d’offrir aux passions individuelles un bonheur autre que celui de la société. Ils étaient bien décidés à faire main basse sur toute espèce de discussions théologiques, et sentaient que la cessation des salaires nous eût bientôt guéris de la manie d’étaler le bel esprit et de faire des livres. » — « Les seules connaissances nécessaires « aux citoyens étaient celles qui devaient les mettre « en état de servir et de défendre la patrie. Point de corps privilégié par ses lumières ; point de prééminences intellectuelles ou morales ; point de droit, même au génie, contre la stricte égalité de tous les hommes. Lire et écrire, compter, raisonner avec justesse, connaître l’histoire et les lois de la république, avoir une idée de sa topographie, de sa statistique et de ses productions naturelles, tel était le programme de l’éducation commune à tout le monde. Cette prudente limitation des connaissances humaines était aux yeux du comité la plus solide garantie d’égalité sociale. S’appuyant sur l’autorité « de Rousseau, qui affirme quelque part que jamais les mœurs et la liberté n’ont été réunies à l’éclat des arts et des sciences, il avait même été jusqu’à refuser de se prononcer sur l’utilité des perfectionnements ultérieurs des arts et des sciences par des citoyens plus versés que les autres dans ces matières. Du reste, la presse devait être sévèrement renfermée dans le cercle des principes proclamés par la société[1]. » On peut consulter : Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf, suivie du procès auquel elle a donné lieu et des pièces justificatives, par Ph. Buonarotti, Bruxelles, 1828, 2 vol. in-8o. L’auteur de ce livre avait joué un rôle important dans la conjuration, et fut condamné à la déportation. On a de Babeuf : 1° Cadastre perpétuel ou Démonstration des procédés convenables à la formation de cet important ouvrage, etc., Paris, 1789, in-8o ; 2° du Système de dépopulation, ou la Vie et les Crimes de Carrier, Paris, 1794, in-8o. C. W—n.


BABEY (Pierue-Marie-Athanase), député aux états généraux et à la convention, était né en 1744, à Orgelet, d’une des familles les plus honorables de cette ville. Il y remplissait la place d’avocat du roi à l’époque de la révolution, dont il embrassa les principes avec beaucoup de chaleur. Député par le bailliage d’Aval aux états généraux, qui prirent le titre d’assemblée constituante, il s’y fit remarquer

  1. Résumé des utopies de Babeuf, par M. Buonarotti. Voy. Encyclopédie nouvelle, art. Babeuf.