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de poésie. Bien que d’un âge avancé, il jouissait de la plus brillante santé, fruit de la tempérance et d’un exercice continuel. Durant l’été de 1836, par une chaleur excessive, il avait fait, selon son habitude, une très-longue marche en composant, et rentra fatigué : il dit à sa fille[1] : « Mets-toi au piano, et la jeune fille obéit, pendant que son père reposait. Elle jouait toujours, et son père n’était plus : il venait de s’éteindre, sans souffrance, sans agonie, le sourire sur les lèvres. » Il fut remplacé par M. Scribe, qui, dans son discours de réception, apprécie sans adulation le talent et le caractère de son prédécesseur. On en jugera par ce passage : « C’était un homme chez qui restait profondément gravé le souvenir soit du bien, soit du mal. Si personne moins que lui n’oublia une mauvaise action, personne non plus ne portait plus avant dans son cœur la reconnaissance d’un service ou d’un bienfait. La tournure vive et piquante de son esprit ne lui permettait guère de résister au plaisir d’un bon mot : ajoutez à ce trait celui d’une extrême franchise, et l’on aura aisément une idée des ennemis qu’il dut se faire. » Quant à la nature de son talent, voila comment l’a caractérisé M. Villemain, qui répondait à M. Scribe : « Auteur tragique de l’école de Ducis, il a dans ses ouvrages mêlé aux anciennes formes un nouveau degré de terreur et quelquefois de simplicité. » Arnault avait consacré les dernières années de sa vie à rédiger ses mémoires sous ce titre : Souvenirs d’un sexagénaire, dont il n’a paru que 4 volumes (Paris, 1833, in-8o), qui vont jusqu’au commencement de l’empire : la suite est demeurée inédite. Voici encore comment le même académicien, successeur d’Arnault dans les fonctions du secrétariat perpétuel, a jugé cet ouvrage : « Les mémoires qu’il écrivait avec une verve piquante et négligée sont un monument curieux de sa vieillesse. Spectateur intelligent et sans ambition, mêlé aux événements du siècle et n’en profitant pas, Arnault avait vu beaucoup de choses et les avait toujours appréciées avec cette droiture de conscience qui donne de nouvelles lumières à l’esprit. Ni l’intérêt ni les engagements politiques ne prévalaient sur la véracité de ses souvenirs, etc. » Arnault, depuis son rappel de l’exil, avait fait recevoir aux Français trois nouvelles tragédies : Lycurgue, Pertinax, ou les Prétoriens, et les Guelfes et les Gibelins. Sous la restauration, la censure mit longtemps obstacle à la représentation des Guelfes et des Gibelins, qui, donnés enfin le 9 juillet 1827, obtinrent un succès d’estime. On s’attendait à ce que cette pièce offrirait le tableau des sanglantes factions qui désolèrent l’Italie ; le poëte a eu le malheur de concevoir son sujet de manière à ne présenter que les infortunes d’une seule famille. De même Pertinax n’a eu que quelques représentations. Arnault avait travaillé à plusieurs ouvrages périodiques : outre ceux que nous avons mentionnés dans le cours de cette notice, nous citerons : les Veillécs des Muses, en 1797 ; le Mercure ; le Miroir des Spectacles, des Lettres, des Mœurs et des Arts, et en dernier lieu l’Opinion. Enfin il avait publié en 1801 : de l’administration des établissements d’instruction publique et de l’enseignement. 2e édition, 1804, in-8o. Il est l’auteur de la Notice biographique sur Chénier, en tête de l’édition des œuvres de ce poëte. Il est assez remarquable que celui des écrits d’Arnault qu’on peut regarder comme l’un des derniers en date est à la louange d’un écrivain contre lequel il avait composé l’un de ses premiers écrits. Le titre des Fastes civils de la France porte aussi le nom d’Arnault comme un des auteurs ; mais il n’a rien fourni à cet ouvrage ; Arnault a laissé trois fils, dont l’aîné, M. Lucien-Émile, né à Versailles, le 1er octobre 1787, s’est fait avantageusement connaître comme poète tragique et comme administrateur. D-r-r.


ARNAVON (François) naquit, vers 1740, à Lisle, petite ville sur la Sorgue, prés de la fontaine de Vaucluse, dans le comtat Venaissin. Après avoir fait ses études en Sorbonne, où il prit le grade de bachelier, il fut nommé chanoine de la collégiale de Lisle et prieur-curé de Vaucluse. Il publia, en 1773, un Discours apologétique de la religion chrétienne, au sujet de plusieurs assertions du Contrat social et contre les paradoxes des faux politiques du siècle, in-8o. Grimm ne ménagea ni l’auteur ni son ouvrage, dans sa Correspondance littéraire. « L’abbé Arnavon, dit-il (2e partie, t. 2, p. 477), en veut surtout au dernier chapitre du Contrat social. C’est le sort de Rousseau d’être réfute par des gens qui n’ont pas voulu ou qui n’ont pas su l’entendre. » Mais, vingt années plus tard, Grimm aurait pu appliquer plus justement cette réflexion aux novateurs qui essayèrent de mettre en action le Contrat social. — Arnavon servit de cicerone au comte de Provence (depuis Louis XVIII), lorsque ce prince visita la fontaine de Vaucluse en 1777. Dés lors le prieur curé conçut le projet, qu’il exécuta plus tard, de décrire cette fontaine, qui dut à Pétrarque la même célébrité dont les eaux de Tibur avaient été redevables au lyrique romain ; et en même temps d’éclaircir l’histoire des fameuses amours de Pétrarque et de Laure, et de justifier le poëte auteur de plus de trois cents sonnets en l’honneur d’une femme mariée qui, toujours chaste, fut enfin enlevée par la peste au délire platonique de son amant. (Voyez Pétrarque et Noves.) — Lorsque la révolution de 1789 éclata, le comtat Venaissin fut agité de troubles graves, qui ensanglantèrent souvent les villes de Carpentras et d’Avignon. Au milieu de la violence des partis, la réunion du comtat a la France fut plusieurs fois demandée par les Avignonais à l’assemblée constituante, qui hésita pendant deux ans à la prononcer. En 1790, Arnavon fut député à Rome par l’assemblée représentative et nationale qui siégeait à Carpentras. Il était chargé de suivre auprès de Pie VI les intérêts de la partie du pays Venaissin qui voulait demeurer sous la domination du saint-siége. Sa mission se trouva naturellement terminée par la réunion du comtat à la France, le 14 septembre 1791. Mais il ne rentra dans sa patrie que lorsque la loi du 12 ventôse an 8 (3 mars 1800) lui

  1. Discours de M. Scribe.