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parte, à son retour d’Italie, revit comme un ami de famille Arnault, qui ne chercha point à se dérober à une intimité dont il était fier. Quand par hasard il laissait passer une soirée sans paraître, le général lui adressait cet aimable reproche : « On ne vous voit plus : que devenez-vous donc, monsieur le marquis ? » Jaloux de se faire des amis parmi les gens de lettres et les savants, Bonaparte chargeait Arnault de lui donner la liste de ceux qu’il devait inviter, et plus d’une personne que ces invitations allaient chercher ont du par la suite leur fortune à cette distinction. Bientôt, lorsque Bonaparte médita expédition d’Égypte, Arnault, sans être dans le secret, eut mission de recruter les littérateurs et les artistes qui devaient accompagner le général. Entre autres personnages plus ou moins célèbres qu’il embaucha pour ce glorieux voyage, on peut citer Denon, le Cûmte Henri de Saint-Aignan, Parseval de Grandmaison, les musiciens Villoteau etBigel, etc. Pour lui, il partit avec Bonaparte sur le vaisseau l’orient, et fut chargé de la bibliothèque. Pendant les ennuis de la traversée, ils avaient ensemble de longs entretiens sur la littérature, et surtout sur l’art dramatique. Bonaparte revenait souvent à ce dernier sujet, sur lequel il avait toute une théorie. La politique, les intérêts de l’ État lui semblaient seuls matière tragique, et tout ce qui n’était qu’amour, il le renvoyait à la comédie. Arnault résistait a ses innovations, et comme un jour le général lui disait, après un long débat : « Il n’importe : je veux que nous fassions une tragédie ensemble. — volontiers, lui répondit Arnault, quand nous aurons fait ensemble un plan de campagne. » Malgré cette familiarité et sa confiance en l’étoile du conquérant, Arnault n’acheva pas le voyage. Au début de la conquête, il fut retenu à Malte par un devoir d’amitié : son beau-frère Regnault, chargé de l’administration de cette île, fut atteint d’une maladie qui paraissait mortelle. Le rétablissement inespéré de ce dernier leur permit de s’embarquer tous deux pour la France ; en chemin, ils furent faits prisonniers par les Anglais, puis échangés au bout de sept jours. De retour à Paris, Arnault revint alors à ses habitudes, à ses relations littéraires, et fut, avec Legouvé, Laya et Vigée, un des coryphées du lycée Thélusson. Ce fut alors qu’il fit jouer au Théâtre-Français sa tragédie des Vénitiens. On sait qu’une des scènes de cette pièce représente la célébration du mariage de Blanche et de Capello. La censure d’alors voulut proscrire cette scène : Point de prêtres, point de prêtres ! fut-il mis en marge du manuscrit ; et, comme l’auteur ne voulut pas céder, la première représentation fut interdite. Plusieurs journalistes, entre autres Duviquet, réclamèrent avec véhémence, et tancèrent vertement le ministre de la police. Tout fut raccommodé par l’entremise de Palissot, qui, lié avec le directeur Treilhard, obtint de lui la levée de cette prohibition, et la pièce fut donnée le 15 septembre 1798. Le sujet est en partie d’invention, en partie emprunté de l’histoire. L’auteur a eu pour but de peindre l’effrayant pouvoir confié dans cette république au conseil des Dix. La scène de terreur que produit au 5° acte un jugement de ce conseil, aussitôt exécuté que rendu, est la catastrophe de la pièce. Elle fit sur les spectateurs, elle fait même à la lecture une impression profonde. Le style est nourri de pensées fortes et d’une noble simplicité ; le succès fut complet. Bientôt, à la mort de l’abbé Barthélemy, Arnault fut appelé à la deuxième classe de l’Institut ; il avait pour concurrents Lemercier et Parny. Quelque temps auparavant, il avait été admis dans la société Philotechnique, et, après son entrée à l’Institut, il ne dédaigna pas de s’affilier à la société des Bêtes, réunion formée par Radet, Barré, Despréaux et autres parodistes de l’époque. Il rédigeait alors les articles théâtre dans un journal intitulé le Propagateur, et eut le premier l’idée de placer ces articles dans la partie du journal appelée feuilleton, qui jusqu’alors n’avait été consacrée qu’a recevoir les annonces de librairie. Cependant Bonaparte revint d’Égypte ; et, au 18 brumaire, Arnault fut avec Regnault un des plus zélés complices de ce coup d’État militaire. Homme de lettres avant tout, un peu insouciant et fier, il ne poussa pas bien haut sa fortune sous un maître qui, gâté promptement par le pouvoir, ne s’accommodait plus que de gens souples et complaisants. Toutefois ils avaient encore ensemble des conversations que le premier consul dirigeait vers la littérature, et qu’Arnault tournait de son mieux à la politique, ce qui ne convenait pas toujours à Bonapartc, qui dit un soir à ce sujet à Regnault : « On dit que pour être agréable aux gens, il faut leur parler de ce qu’ils font ; je ne sais comment la chose arrive, mais il est de fait qu’en suivant cette voie, votre ami et moi nous nous déplaisons mutuellement — C’est, répliqua Regnault, que vous voulez être littéraire, et que la fantaisie d’Arnault est pour la diplomatie ; or, vous parlez non de ce qui vous convient au fond, mais seulement de ce que vous préférez en apparence. » Arnault du reste avait avec ses meilleurs amis des coups de boutoir fort déplaisants ; mais plus d’une fois il lui arriva de trouver à qui parler, témoin le bon Parseval de Grandmaison qu’il avait appelé onagre en poésie. « Mon ami, lui riposta celui-ci, si tu dis que je suis un onagre, je dirai que tu es un aigle ; et sais-tu ce qui en arrivera ? c’est qu’on ne nous croira ni l’un ni l’autre. » Lucien Bonaparte, alors ministre de l’intérieur, mit Arnault à la tête de la division de l’instruction publique et des théâtres ; puis bientôt après l’emmena en Espagne, où il se rendait comme ambassadeur de la république française (1801). Arnault fut alors admis au nombre des membres de l’académie de Madrid. Il y prononça un discours dans lequel, après avoir exposé l’état des sciences et des arts en France, il exprimait le vœu de voir s’établir entre les savants des deux nations une communication aussi intime et une union aussi ferme que celles qui existaient entre les deux gouvernements, vœu philanthropique, qui ne devait pas plus se réaliser dans le domaine de la politique que dans celui de la littérature. De retour à Paris, il re-