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personne en sûreté dans une retraite ignorée de ses ennemis. Arnauld refusa de souscrire a cette censure, et comme, d’ailleurs, il eut pour juges les docteurs contre lesquels il avait écrit, et ce même Lescot dont il a été question, il fut exclu de la faculté, malgré ses protestations contre l’irrégularité de sa condamnation. Avec lui furent enveloppés dans la même disgrâce soixante-douze docteurs, et plusieurs licenciés et bacheliers, sur leur refus de prendre part à cette censure, que l’on a continué depuis de faire signer à ceux qui voulaient devenir docteurs. Depuis les troubles qu’avait excités son premier ouvrage, et qui l’avaient fait citer à Rome, il s’était retiré à Port-Royal ; il s’ensevelit encore plus profondément dans sa retraite, et n’en sortit qu’à la paix de Clément IX, en 1668. L’archevêque de Sens et l’évêque de Chalons, médiateurs de cet accommodement, firent comprendre Arnauld dans cette pacification, et le présentèrent au nonce. Ce prélat l’accueillit avec la plus grande distinction, et lui dit « qu’il ne pouvait mieux employer sa plume d’or qu’à défendre l’Église. » Louis XIV voulut voir aussi un théologien si renommé, et il lui fut présenté par Pompone, son neveu. « J’ai été bien aise, lui dit ce prince, de voir un homme de votre mérite, et je souhaite que vous employiez vos grands talents à la défense de la religion. » Et toute la cour fêta le savant docteur. Mais Annat et Péréfixe empêchèrent son rétablissement en Sorbonne. Durant les premières années qui suivirent la paix de l’Église, Arnauld tourna contre les calvinistes les armes dont il s’était servi contre ses adversaires. Ce calme heureux produisit : 1° la Perpétuité de la foi, qu’il avait commencée avec Nicole, lorsqu’il se tenait caché à l’hôtel de Longueville, où la duchesse lui avait donné un asile, et qui produisit le plus grand effet dans le parti de la réforme, auquel elle enleva des partisans illustres et nombreux ; 2° le Renversement de la morale de Jésus-Christ par les calvinistes, et plusieurs autres ouvrages de controverse, qui le firent redouter des protestants. Mais la tranquillité ne fut pas de longue durée : la démangeaison de dogmatiser dans les uns, et l’ardeur de combattre les dogmatisant dans les autres, rallumèrent la guerre. Arnauld ne fut pas des derniers à recommencer les hostilités. Suivant des autorités graves, il fut fidèle à ses engagements, et s’interdit toute composition sur les affaires du jansénisme. Mais de Harlay, dit-on, protégeait sourdement toutes les provocations contre lui. Quoi qu’il en soit, il en revint aux jésuites, ses ennemis naturels. Aussi prétendait-on, dans le temps, que sa haine contre cette compagnie célèbre était une haine d’éducation, et le compara-t-on au jeune Annibal, promettant à son père, dès ses plus tendres années, qu’aussitôt qu’il serait en âge de porter les armes, il ferait aux Romains une guerre éternelle. Arnauld, devenu suspect par le concours des visites qu’il recevait, et regardé comme dangereux par Louis XIV, que l’archevêque de Paris, de Harlay, ne cessait d’animer contre lui, crut devoir disparaître pour quelque temps. Il se retira dans les pays étrangers, en 1679. Innocent XI lui fit offrir une retraite honorable à Rome, qu’il refusa, de peur de se rendre suspect à Louis XIV, à cause des disputes sur la régale. Ce fut alors que Boileau, devant qui l’on disait que le roi faisait chercher le docteur pour qu’on l’arrêtât, répondit : « Le roi est trop heureux pour le trouver. » Il y a toute apparence que ces recherches ne furent que comminatoires ; car Arnauld trahissait à chaque instant son secret par l’impétuosité de son caractère. On peut en juger par les anecdotes suivantes. Il avait trouvé une retraite à l’hôtel de Longueville, à condition qu’il n’y paraîtrait qu’en habit séculier, une grande perruque sur la tête et l’épée au côté. Il y fut attaque de la fièvre, et madame de Longueville ayant fait venir le médecin Brayer, lui recommanda un gentilhomme qu’elle honorait d’une protection particulière, et à qui elle avait donné un appartement dans son hôtel. Brayer monte chez le malade, qui, après avoir parlé de son indisposition, demande des nouvelles. « On parle, lui dit le médecin, d’un livre nouveau qu’on attribue à M. Arnauld ou à M. de Sacy ; mais je ne le crois pas de M. de Sacy : il n’écrit pas si bien. » À ce mot, Arnauld, oubliant son habit gris et sa perruque, lui répond vivement : « Que voulez-vous dire ? Mon neveu écrit mieux que moi. » Brayer envisage son malade, se met à rire, descend chez madame de Longueville, et lui dit : « La maladie de votre gentilhomme n’est pas considérable ; je vous conseille pourtant de faire en sorte qu’il ne voie personne ; il ne faut pas le laisser parler. » Bientôt, craignant d’être recherché même chez cette princesse, il alla se loger au faubourg St-Jacques, dans un taudis ignoré ; il y tomba malade. Ses amis lui envoyèrent un médecin, qui, dans la conversation, comprit bientôt que son malade était un homme de mérite. Arnauld, curieux de nouvelles, lui demanda ce qu’on disait dans Paris. « Rien d’intéressant, répondit le médecin, si ce n’est que M. Arnauld est arrêté. — Oh ! pour cette nouvelle, répliqua ce dernier, elle est un peu difficile à croire ; c’est moi qui suis Arnauld. » Le médecin, étonné, lui remontra son imprudence. « Heureusement, ajouta-t-il, vous avez affaire a un honnête homme. Sans cela, voyez à quoi vous vous exposiez. » Il fit avertir la duchesse de Longueville, qui, toute alarmée, envoya chercher Arnauld. Elle lui donne un logement, le fait cacher dans une chambre, et ne veut se reposer que sur elle-même du soin de lui porter à manger. Cette princesse, étonnée des indiscrétions qui échappaient souvent à Arnauld et à Nicole, disait « qu’elle aimerait mieux confier son secret à un libertin. » Craignant donc les conséquences de l’animosité de ses ennemis et des préventions du roi, Arnauld s’exila lui-même de sa patrie, et se retira dans les Pays-Bas. Après avoir erré en différents endroits, il se fixa à Bruxelles, ou le marquis de Grana le fit assurer de sa protection, et témoigna un grand désir de voir un homme dont la réputation avait déjà rempli l’Europe. L’illustre fugitif ne refusa point cette protection ; mais il fit prier le marquis de le laisser dans