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ANN

plus ou moins sourde, à travers tous les événements de ce règne. Lors de l’accession de la reine Anne, Jacques III, plus condescendant que son père, avait déclaré à sa sœur que, si elle voulait occuper le trône pendant sa vie et l’y faire monter après elle, plutôt que d’y établir une famille étrangère, il serait pleinement satisfait. La reine avait prêté l’oreille à cette proposition. Alors les jacobites, enhardis, allèrent plus loin. Ils demandèrent que la reine gardât pour elle la couronne d’Angleterre, et remit immédiatement celle d’Écosse a son frère, infiniment plus jeune, sur la tête duquel les deux se réuniraient un jour. Anne reçut cette nouvelle ouverture sans témoigner ni répugnance ni approbation ; mais son silence en disait assez. Les faits ont parlé plus clairement encore. À ne considérer que l’empressement extrême qu’elle mit à opérer cette réunion des deux royaumes, et l’ardeur qu’elle apporta ensuite à se composer un ministère tory, on peut assurer aujourd’hui que la reine Anne, nourrissant dès cette époque le désir de transmettre un jour ses trois couronnes à son frère, ne voulait cependant en céder aucune tant qu’elle vivrait. Les whigs, de leur côté, en secondant ses vœux pour réunir l’Angleterre et l’Écosse, n’oublièrent pas les leurs pour la succession hanovrienne. Le premier article du traité d’union stipula que, si la reine mourait sans enfants, l’héritage de la couronne britannique serait dévolu à la ligne protestante de la descendance des Stuarts, c’est-à-dire à la princesse Sophie, électrice douairière de Hanovre, petite-fille de Jacques Ier, par la princesse Élisabeth, mariée à l’électeur palatin, et qui, dans l’ordre de primogéniture, n’était pas la quarante-cinquième appelée a cette grande succession. Jacques III, écarté par cet acte solennel, tenta, mais inutilement, une descente en Écosse ; la bonne reine Anne signa une proclamation où elle mettait à prix la tête de son frère. Il est vrai que, quand on fit le procès aux chefs de la conjuration, il ne se trouva de preuves que contre un seul, et cet unique condamné avait disparu le jour où l’on voulut exécuter le jugement. Veuve à quarante-quatre ans, sans que, de dix-sept grossesses plus ou moins heureuses, elle eût conservé un seul enfant, Anne se vit supplier par les deux chambres du parlement de contracter un nouveau mariage. Soit qu’elle n’eût pas une confiance égale dans sa fécondité, soit qu’elle ne voulût pas risquer de créer un obstacle de plus à la restauration de son frère et de sa famille, elle se refusa au vœu du parlement, et elle ne songea plus qu’à mettre le gouvernement tout entier dans la main des torys, qu’appelait alors la disposition universelle des trois royaumes. Le premier signal de ce grand changement fut le procès du docteur Sacheverel, dénoncé par les communes pour avoir prêché le droit divin des rois et l’obéissance passive des sujets ; protégé secrètement par la cour, mais si hautement défendu par le peuple de la capitale et des grandes villes ; si doucement puni après avoir été si violemment accusé, qu’on peut dire que ce sermon et ce procès révélèrent à la reine le secret de ses forces, qu’elle n’avait pas encore mesurées. Elle ne tarda pas à s’en servir. Ce fut alors que la duchesse de Marlborough, qui, par sa tyrannie et son arrogance, avait mis dans le cœur de sa maîtresse l’aversion à la place de l’engouement, se vit supplanter par une de ses parentes qu’elle-même avait introduite a la cour, Abigaïl Masham, aussi respectueuse, aussi habile à flatter les penchants de sa souveraine, que la duchesse s’était montrée brusque, dédaigneuse, contrariante. Godolphin, Sunderland, Sommers, Dévonshire, Walpole, furent remplacés par Harley, créé bientôt comte d’Oxford ; St-Jean, qui a été le fameux lord Bolingbroke ; Rochester, Buckingham et George Granville ; le chevalier Simon Harcourt, qui avait plaidé pour Sacheverel, fut élevé a la dignité de grand chancelier, au lieu de lord Cowper. De tout ce gouvernement whig, naguère si puissant, il ne restait plus qu’une chambre des communes désavouée par le peuple, une guerre dont les triomphes étaient oubliés, mais dont le poids était senti ; et l’autorité du duc de Marlborough encore existante à la tête des armées, mais menacée d’une chute inévitable dans l’intérieur de son pays. Une proclamation royale cassa le parlement. Le peuple députa autant de torys à la nouvelle chambre des communes, qu’il avait envoyé de whigs à la chambre dissoute. La reine créa douze pairs à la fois, pour assurer la même supériorité au même parti dans la chambre haute. Le premier acte du nouveau sénat fut une adresse a la reine pour la supplier de confondre toutes les mesures et toutes les doctrines récemment hasardées contre sa couronne et sa dignité royale. La paix fut résolue. Il fallait écarter l’homme incompatible avec elle : ce fut le moment de l’accusation, de la destitution, de l’exil du duc de Marlborough. Prior, illustre comme poëte, distingué comme homme d’État, fit un premier voyage en France pour y poser les fondements d’un traité séparé, si les alliés des Anglais persistaient à vouloir la prolongation de la guerre. Il y retourna bientôt, avec le vicomte de Bolingbroke, chargé d’y conclure définitivement un double traité de paix et de commerce. D’un autre côté, l’évêque de Bristol et le comte de Strafford allèrent notifier à la Haye l’irrévocable résolution de la reine. Enfin, malgré le duc de Marlborough et le prince Eugène, malgré les états généraux des Provinces-Unies et le conseil de l’empereur d’Allemagne, les peuples respirèrent. La fameuse paix d’Utreeht fut signée (11 avril 1713) par toutes les puissances, à l’exception de l’Empereur, qui devait bientôt se voir forcé d’y accéder lui-même. Tels sont les mystères et les jeux de la politique, que, dans le traité, la reine Anne faisait stipuler l’expulsion de son frère Jacques III hors de France, et la transmission de sa couronne, après elle, à la maison de Hanovre, tandis qu’elle attendait précisément de ce traité le repos et les mesures nécessaires pour assurer son héritage a ce même frère, qui, de son côté, protestait formellement contre toutes ces stipulations. Les whigs, a l’affût de tout ce qui pouvait rendre l’existence à leur pouvoir, ne s’élevèrent pas seulement avec force contre la paix qui venait d’être signée, et contre