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menta les taxes, on multiplia les prescriptions, et les troupes des deux partis infestèrent les provinces. La reine, opprimée comme le reste de la France, attendait que son fils fût à même de la tirer de cette fâcheuse position, lorsque ce jeune prince mourut presque subitement. Cette mort, à laquelle le connétable fut soupçonné d’avoir contribué, renversa toutes les espérances. Le connétable ne garda plus aucun ménagement : il fit reléguer la reine à Tours ; mais le duc de Bourgogne la délivra bientôt ; et ce prince, s’approchant de Paris avec une puissante armée, vint jeter le connétable dans les plus vives alarmes. Armagnac fut, dans le même temps, déclaré schismatique par le concile de Constance. Plusieurs conjurations furent découverte, et produisirent des rigueurs qui augmentèrent le nombre des mécontents. Il fut réduit à ne plus faire dépendre sa sûreté que de la terreur, et rejeta même tous les projets de paix avec l’Angleterre ; mais au moment où il avait le plus besoin de ses troupes pour contenir les Parisiens, il en envoya une partie vivre à discrétion dans la Brie, afin de se dispenser de payer leur solde. Cette imprudence causa sa perte. Paris fut livré au duc de Bourgogne, le 29 mai 1418. Le connétable, effrayé, sort en secret de son hôtel, et va se réfugier chez un maçon. Ce fut dans cet asile que ce seigneur, quelques moments auparavant si fier, si redoutable, crut échapper, sous les haillons d’un mendiant, à une populace furieuse, qui venait de prendre les armes pour égorger tous les Armagnacs. Trahi par celui chez lequel il s’était caché, sa vie fut d’abord respectée par ses ennemis, qui espéraient lui faire avouer où étaient ses trésors ; mais, peu de jours après, la populace furieuse força la prison et le massacra. Son corps fut exposé aux regards de ses ennemis. Ce ne fut que dix-huit ans après, lors de la rentrée de Charles VII à Paris, que les enfants du comte d’Armagnac firent célébrer les obsèques de leur père. Ses restes furent alors transportés dans le comté d’Armagnac, pour y être inhumés prés de ses ancêtres. B-p.


ARMAGNAC (Jean V, comte d’), petit-fils du précédent, fils de Jean IV, comte d’Armagnac, et d’Isabelle de Navarre, naquit vers l’an 1420, fit ses premières armes sous les drapeaux du comte de Dunois, et contribua, en 1451, à la conquête de la Guienne sur les Anglais. Devenu prince souverain d’Armagnac par la mort de son père, arrivée en 1450, il avait conçu, vers cette époque, l’amour le plus violent pour Isabelle, la plus jeune de ses sœurs, princesse d’une rare beauté, et qui, dans d’autres temps, avait été destinée au roi d’Angleterre. Il la séduisit, et deux enfants, nés de ce commerce incestueux, rendirent le scandale public. La passion déplorable du comte d’Armagnac ayant rendu inutiles les exhortations du pape et les remontrances de Charles VII, il fut excommunié, et n’obtint son absolution qu’en promettant de renoncer à ses liens criminels ; mais son amour s’irritant par les obstacles, il résolut de légitimer une alliance si contraire à nos mœurs, et sollicita à Rome une dispense, qui lui fut refusée. Aveugle enfin par sa passion, et voulant apaiser les remords de sa sœur, il l’épousa publiquement, en vertu d’une prétendue bulle de Calixte III, qu’il avait fait fabriquer par deux ecclésiastiques dévouée à ses intérêts. Cette union scandaleuse indigna toute la France, et attira au comte d’Armagnac une seconde excommunication ; mais peut être aurait-il joui de l’impunité, si, au lieu d’adoucir Charles VII, il n’eut irrité ce prince, en forçant le chapitre d’Auch de nommer, à l’archevêché de cette ville, Jean de Lescun, son frère naturel, au préjudice de Philippe de Lévi, que protégeait la roi de France. Le mariage incestueux de ce seigneur, et l’emportement de ses démarches, n’étaient pas les seuls crimes qu’on avait à lui reprocher ; on l’accusait de favoriser en secret les Anglais, d’avoir témoigné une joie indiscrète de leur descente en Guienne, et d’avoir tenu des propos indécents contre le roi et l’État. Charles VII donna ordre à ses généraux de se saisir de sa personne. Le comte fortifia ses places, et parut vouloir se défendre ; mais, à l’approche des troupes royales, la plupart de ses villes ouvrirent leurs portes, et, obligé de chercher un asile hors du royaume, il se réfugie, en 1455, avec sa sœur, en Aragon, où il possédait encore quelques châteaux. Le roi chargea le parlement de Paris d’instruire son procès ; le comte, absent, prétendit être jugé par la cour des pairs, en qualité de prince du sang par Élisabeth de Navarre, sa mère, et comme issu, disait-il, du côté paternel, depuis plus de mille ans d’hoir en hoir, des rois d’Espagne et des anciens ducs d’Aquitaine. Sa requête n’ayant point été admise, il fit alléguer qu’il était clerc tonsuré, ajoutant qu’un chevalier, combattant pour l’État, ne pouvait être privé du privilége de cléricature. Ainsi, un incestueux bigame, car le comte d’Armagnac avait une autre femme que sa sœur, déclinait la juridiction séculière, et demandait son renvoi par-devant le juge ecclésiastique. Cette singulière prétention n’eut pas plus de succès que la première. Sommé de comparaître en personne, il osa se présenter au parlement, à la vérité avec un sauf-conduit, mais qui ne fut pas respecté. Arrêté au milieu de la capitale, puis élargi, à condition de ne pas s’éloigner de plus de dix lieues de Paris, il fut effrayé de la vivacité avec laquelle on instruisait son procés, et se réfugie à Besançon. Le parlement, par un arrêt définitif, le condamna au bannissement, et confisqua ses domaines au profit de la couronne. Le comte d’Armagnac eut recours au pape Pie II, et fit à Rome un voyage de pénitence, pour obtenir l’absolution du souverain pontife, et son intervention auprès du roi de France. Pie II le releva de l’excommunication, mais Charles VII demeura inflexible. Ce ne fut que sous le règne suivant que le comte rentra en France, et obtint, en 1461, de Louis XI, la restitution de ses domaines. Il servit d’abord ce prince dans ses prétentions sur la Navarre, et marcha contre le comte de Foix ; mais il se montra bientôt ingrat envers son bienfaiteur, et prit les armes, en 1465, contre Louis XI, avec les seigneurs mécontents, dans la guerre appelée du bien public. Au traité de Conflans, qui pacifia le