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ANN

guerre civile sans faire aucune concession, et remit à son fils majeur un pouvoir qu’elle avait accru en le défendant. Laissant la magnifique église du Val-de-Grâce comme un monument digne d’attester son goût pour les arts, aimée et respectée de ses enfants, passant la plus grande partie de ses journées en exercices de piété, elle mourut d’un cancer le 20 janvier 1666, à l’âge de 64 ans. On connaît la réponse qu’elle fit au cardinal de Mazarin, qui, cherchant à pénétrer ce qu’elle pensait de l’amour que Louis XIV, dans sa première jeunesse, avait conçu pour une des nièces de ce ministre, affectait de craindre un mariage aussi disproportionné : « Si le roi était capable de cette indignité, je me mettrais avec mon second fils à la tête de toute la nation contre le roi et contre vous. » Cette princesse, si fière de son rang, si ferme dans l’infortune, si résignée dans les douleurs qui précédèrent sa mort, était d’une délicatesse si recherchée sur tout ce qui touchait a son corps, que le cardinal de Mazarin lui disait : « Madame, si vous étiez damnée, votre enfer serait de coucher dans des draps de toile de Hollande. » Elle aimait passionnément les fleurs, et ne pouvait supporter la vue des roses, même en peinture. Qu’Anne d’Autriche ait été attaquée dans ses mœurs pendant les troubles de la fronde, cela se conçoit : on sait que les guerres civiles sont aussi fertiles en calomnies qu’en cruautés ; mais, lorsque sa vie entière parle en sa faveur, et que l’histoire a pris plaisir à la venger, qu’on ait vu des-romanciers français répéter froidement les injures des frondeurs, et établir leurs calomnies sur des mensonges aussi odieux, c’est ce qu’on ne pouvait attendre que d’une époque où toutes les convenances ont été oubliées. Heureusement, dans les arts qui dépendent de l’imagination, l’oubli des convenances tient toujours à l’absence du talent ; et les romanciers dont nous parlons ne semblent avoir écrit que pour confirmer la vérité de cette observation[1]. F-e.


ANNE DE BOULEN. Voyez Boulen.


ANNE de Clèves, reine d’Angleterre. Voyez Henri VIII.


ANNE, le dernier rejeton de l’infortunée maison de Stuart qui ait occupé le trône de la Grande-Bretagne : princesse d’un esprit médiocre, son règne a été l’un des plus féconds en grands événements ; d’une bonté extrême, les circonstances l’ont entraînée à consommer la prescription de sa famille, dont elle désirait la restauration. La princesse Anne naquit le 6 février 1664, à Twickenham, prés de Londres. On y montre encore aujourd’hui, avec respect, le château, la chambre et le lit ou la bonne reine Anne reçut le jour. Son oncle, Charles II, était remonté depuis quatre ans sur le trône sanglant du malheureux Charles Ier, et elle était la seconde fille issue du premier mariage de Jacques II, alors duc d’York, avec Anne Hyde, fille de l’illustre Clarendon. Son père n’ayant point encore à cette époque abjuré le protestantisme pour rentrer dans le sein de l’Église romaine, Anne fut élevée dans la religion anglicane, et, après avoir perdu sa mère en 1671, elle fut mariée en 1683, par l’évêque de Londres, au prince George, frère du roi de Danemark, Christian V. Lorsqu’en 1688, le parti qui appelait le prince d’Orange à détrôner son beau-père eut prévalu, Anne, fille favorite de l’infortuné Jacques II, eût plutôt désiré de rester attachée a son père. Le lord Churchill, qui, par sa femme, la dominait déjà, l’entraîna dans le parti du vainqueur, la fit à peu près enlever par l’évêque de Londres, et conduire à Northampton, où, sous prétexte de lui donner des gardes, on l’environna d’une armée. Le prince de Danemark son époux l’avait précédée. Celui-la était un personnage si nul, que sa fuite avait paru plus ridicule que sinistre à Jacques II. Resté d’abord auprès de son beau-père pendant les premiers jours de la crise, il n’avait su faire autre chose, à la nouvelle de chaque désertion, que répéter ce cri monotone : Est-il possible ? Lorsqu’il eut déserté lui-même, le malheureux roi, encore accessible à une idée de plaisanterie, dit à ceux qui l’environnaient : « Eh bien ! Est-il possible s’est donc en allé aussi ? » Mais en recevant la lettre par laquelle Anne, cette fille chérie, lui annonçait sa défection, le malheureux père, plus sensible à cet abandon qu’à l’usurpation de sa fille aînée, s’écria, fondant en larmes : « O mon Dieu ! ayez pitié de moi. Voilà que mes propres enfants m’ont trahi ! » Cependant le sombre Guillaume III, après avoir d’abord témoigné beaucoup d’égards à la princesse Anne, après avoir élevé lord Churchill à la dignité de comte de Marlborough, en le faisant membre de son conseil privé et gentilhomme de sa chambre, ne tarda pas à concevoir des soupçons, et sur la fille qui avait abandonné son père, et sur le favori qui avait trahi son bienfaiteur. Il offensa la princesse, jusqu’à lui ôter sa garde purement honorifique. Le comte se vit subitement privé de ses emplois, puis enfermé a la Tour, comme prévenu du crime de lèse-majesté, et il n’en sortit que parce qu’on ne trouva pas de preuves a établir contre lui. Alors Anne écrivit à son père des lettres de repentir et de soumission (1691 et 1692). Une mort prématurée enleva la reine Marie, épouse de Guillaume (1694). Celui-ci, privé d’un tel soutien, crut de son intérêt de se rapprocher de sa belle-sœur, désignée par le parlement pour lui succéder, et qui, dans son fils le duc de Glocester, présentait aux Anglais un héritier présomptif du sang de leurs anciens monarques. Marlborough fut rappelé au conseil, et, avec les expressions les plus caressantes, nommé gouverneur de ce jeune duc de Glocester. Le duc mourut dans la fleur de son adolescence (1699) ; la santé du roi Guillaume devint chancelante ; la princesse Anne, se voyant si prés de la couronne et sans héritier direct, fit demander secrètement a son père la permission de monter sur le trône, avec le projet

  1. Les Anglais n’ont pas manqué d’accueillir avec empressement les bruits injurieux répandus par les frondeurs. La 4e édition d’un libelle intitulé : Les Amours d’Anne d’Autriche avec le cardinal de Richelieu, a paru en 1768 à Londres, et, ce qui est le plus étonnant, David Hume, historien généralement impartial, n’a pas craint d’avancer qu’Anne d’Autriche était secrètement devenu mère en 1636, et que l’homme au masque de fer était le fils de cette reine et de Buckingham.