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ARI

ouvrit une école d’éloquence, pour rivaliser avec Isocrate, ce qu’il n’a pu faire qu’a cette époque. Isocrate étant mort l’an 359 avant J.-C. Il est probable qu’il y publia aussi quelques ouvrages sur la philosophie, qui commencèrent le faire connaître, et que ce fut d’après sa réputation que Philippe de Macédoine lui écrivit, peu de temps après la naissance d’Alexandre, l’an 356 avant J.-C., cette lettre célèbre : « Philippe, roi de Macédoine, à Aristote, salut. Sachez qu’il m’est né un fils : je remercie les dieux, non pas tant de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître du temps d’Aristote. J’espère que vous en ferez un roi digne de me succéder et de commander aux Macédoniens. » Quelques auteurs disent que, peu de temps avant la mort de Platon, Aristote rompit avec lui, et chercha même à élever une école rivale de la sienne. Nous n’avons, à la vérité, d’autre autorité la-dessus que celle d’Aristoxène, disciple d’Aristote, et qui, irrité, contre lui, de la préférence qu’il avait donnée à Théophraste, pour le placer à la tête de son école, ne l’avait guère ménagé dans ses écrits. Cependant on ne peut le soupçonner que d’exagération ; car il n’est pas probable qu’il eût inventé ces faits. Il est assez naturel de penser que Platon fut offusqué par la réputation toujours croissante de son élève, qui avait abandonné sa manière de traiter la philosophie, pour en adopter une autre, fondée sur des principes plus certains. La lettre de Philippe dut encore augmenter sa jalousie ; mais, malgré le refroidissement qui eut lieu entre eux, ils n’en vinrent jamais à une scission ouverte. Aristote témoigne toujours à Platon les plus grands égards, et ne parle de lui qu’avec respect dans tous ses ouvrages. Platon étant mort l’an 348 avant J.-C., et les Athéniens ayant, vers le même temps, déclaré la guerre à Philippe, Aristote ne crut pas devoir rester à Athènes, et se rendit à Atarné, où Hermias, son ami, avait l’autorité souveraine. Nous ne répéterons pas les bruits que la calomnie avait répandus sur ce voyage : ils sont si absurdes, qu’ils ne méritent pas d’être réfutés. Peu de temps après, Hermias s’étant confié imprudemment à Mentor Rhodien, frère Memnon, général des troupes grecques a la solde du roi de Perse, fut livré par ce traître à Artaxercès, qui le fit mourir de la manière la plus ignominieuse. Aristote, très-affligé de sa mort, chercha à éterniser sa mémoire par un hymne qui est un des plus beaux morceaux de poésie que nous connaissions. Aristote érigea aussi dans Delphes une statue à Hermias, avec une inscription qui rappelait la trahison dont il avait été victime. Hermias avait une sœur, nommée Pythias, beaucoup plus jeune que lui, et qu’il élevait comme sa fille. Elle se trouvait dénuée de tout secours par la mort de son frère, et Aristote, qui ne voulut pas l’abandonner, l’épousa. Elle mourut longtemps avant Aristote, qui la regretta au point de donner lieu à une accusation d’une espèce singulière. On prétendit que, lorsqu’il l’eut perdue, il en fit une divinité, et lui rendit le même culte que les Athéniens rendaient à Cérés. Il paraît qu’après la mort d’Hermias, Aristote alla passer quelque temps à Mitylène ; mais, vers l’an 343 avant J.-C., Philippe l’appela a sa cour, pour le charger de l’éducation d’Alexandre, son fils, alors âgé de treize ans. Nous ne connaissons guère les détails de cette éducation ; mais, à voir les grandes qualités qu’Alexandre déploya dans les premières années de son règne, l’empire qu’il conserva sur ses passions tant qu’il ne fut pas corrompu par ses flatteurs ; enfin le goût éclairé qu’il eut toujours pour les sciences, les lettres et les arts, on doit croire que le philosophe n’avait pas prodigué à son élève d’inutiles leçons. On lui reprochera peut-être de n’avoir pas su prémunir Alexandre contre l’ambition et la passion des conquêtes ; mais Aristote était Grec, et, par conséquent, ennemi naturel du roi de Perse ; sa haine s’était accrue par le meurtre d’Hermias ; enfin la conquête de la Perse était, depuis longtemps, l’objet des vœux de toute la Grèce. Aristote dut donc employer tous ses talents pour mettre son royal disciple en état de réaliser ce projet, et pour lui apprendre à faire tourner cette conquête au profit de la civilisation ; il faut convenir qu’il y avait bien réussi, car peu de conquérants ont montré autant de talents politiques qu’Alexandre, et il aurait peut-être fait une révolution très-heureuse dans le sort du genre humain, si la mort ne l’eût arrêté au milieu de sa carrière. Philippe ayant été assassiné l’an 337 avant J.-C., Alexandre monta sur le trône, et, par affection pour son maître, rebâtit la ville de Stagyre, que Philippe avait détruite. Les Stagyrites, en reconnaissance, instituèrent en l’honneur d’Aristote une fête nommée Aristotelia, qu’ils célébraient tous les ans. Aristote engagea aussi, par la suite, son disciple a épargner la ville d’Eressos, patrie de Théophraste, son disciple chéri. Il paraît constant qu’Aristote resta au moins un an avec Alexandre, après son événement au trône, et l’on prétend qu’il se retira ensuite à Athènes ; mais je trouve dans sa vie, par Ammonius, qu’il suivit son élève dans une partie de ses expéditions ; et cela me paraît très-croyable, car on ne conçoit guère comment ce prince aurait pu envoyer à Athènes tous les animaux dont Aristote avait donné la description anatomique de la manière la plus exacte, ce qui prouve qu’il les avait disséqués lui-même. Je suis donc porté a croire qu’il le suivit jusqu’en Égypte, et qu’il ne revint à Athènes que vers l’an 331 avant J.-C., apportant tous les matériaux nécessaires pour la composition de son immortel ouvrage, l’Histoire des animaux. Il laissa auprès d’Alexandre Callisthènes, son parent et son disciple, qui eut le malheur de s’attirer la haine de ce prince. Quelques auteurs prétendent que cette haine s’étendit jusqu’à Aristote ; et Plutarque en donne pour preuve une lettre où Alexandre semble désigner Aristote comme son ennemi ; mais on avait forgé beaucoup de lettres sous le nom du roi de Macédoine, et celle-là est sans doute de ce nombre. Alexandre ne dut jamais oublier les obligations qu’il avait à son maître, et les persécutions auxquelles Aristote fut exposé immédiatement après sa mort semblent prouver que les Athéniens le considéraient comme lui étant entièrement dévoué. Aristote, revenu à Athènes, y ouvrit une école de philosophie dans le Lycée, gymnase à peu de distance de la ville. Il s’y rendait