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ANN

Bryenne, qui, à ses yeux, n’était qu’une femme, tandis qu’elle avait montré le caractère d’un homme. Le lendemain le complot fut découvert ; l’empereur confisqua les biens des conjurés et leur fit grâce de la vie : il offrit les biens d’Anne Comnène à l’un de ses favoris, qui eut la générosité de les refuser et de conjurer son maître de ne pas dépouiller une princesse qui lui appartenait par les liens les plus sacrés. Anne, vaincue par tant de générosité et dégoûtée de ses entreprises par leur peu de succès, se condamna dès lors à l’obscurité et se contenta de régner sur les beaux esprits et les philosophes qui composaient sa cour. Dans sa retraite elle perdit son mari, et, quoiqu’elle l’eût accusé de n’être qu’une femme, sa mort, si on l’en croit, la plongea dans le plus profond désespoir ; il n’était plus à ses yeux que le grand Bryenne, et toutes les afflictions qu’elle avait éprouvées n’étaient, en comparaison de cette perte, « que comme une goutte d’eau comparée à toutes les eaux de la mer. » Anne Comnène mourut en 1148, sous le règne de Manuel : elle avait vu trois empereurs. Témoin, dans son enfance, du passage des premiers croisés à Constantinople, elle put voir, dans sa vieillesse, la seconde croisade prêchée par St. Bernard et commandée par Conrad III et Louis le Jeune. Anne avait un esprit inquiet et remuant, et ne trouva point le repos dans la solitude. « Je ne vois dans ma vie, disait-elle, que des afflictions et des peines. » Lorsqu’on examine sa conduite et ses écrits, il est aisé de voir que ces afflictions venaient moins des affections du cœur que de l’ambition trompée. Toute philosophe qu’elle était, elle mettait beaucoup de prix aux avantages de sa naissance, et lorsqu’elle parle des disgrâces de sa vie, elle remercie la fortune de l’avoir fait naître d’une impératrice et d’un empereur. En se plaignant de ses destinées, elle fait parade de sa rhétorique ; elle s’efforce de faire éclater son deuil, cherche plutôt à surprendre l’admiration de ses lecteurs que leur pitié, et finit par dire que le récit de ses malheurs ne doit pas seulement affliger les hommes, mais émouvoir les animaux. Dans sa retraite, elle écrivit la vie de son père, qui fait partie de la Collection byzantine, et dans laquelle on trouve les défauts qui tiennent à un temps de décadence. L’envie d’étaler son érudition et de faire voir son esprit entraîne l’auteur dans tous les excès de l’affectation et de la recherche. Un défaut plus grave encore s’y fait remarquer presque à chaque page ; partout l’histoire prend, sous la plume d’Anne Comnène, le ton et les couleurs du panégyrique ; elle reconnaît elle-même l’embarras de sa position. « Si je donne des louanges à Alexis, dit-elle dans sa préface, on me soupçonnera de préférer ma propre gloire a la vérité ; d’un autre côté, si la nécessité du sujet m’oblige à désapprouver quelques-unes de ses actions, on m’accusera d’impiété. » L’auteur aurait du conclure, comme un critique moderne, qu’une fille ne doit pas écrire l’histoire de son père. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’Anne Comnène est demeurée plus fidèle a la piété filiale qu’à la vérité. Alexis est représenté dans son histoire comme un héros et comme un sage, quoiqu’il ne fût ni l’un ni l’autre. Anne montre partout les croisés dans ses récits sous les plus noires couleurs. Cependant le portrait brillant qu’elle retrace de Bohémond a fait croire qu’elle n’avait pas vu ce prince croisé sans un tendre intérêt ; mais elle n’avait que douze ans lorsque les armées de l’occident passèrent à Constantinople pour aller à Jérusalem Quoiqu’elle eut revu Bohémoud quelques années après, dans l’Épire, où il faisait la guerre à Alexis, rien n’annonce qu’elle eût pour lui une secrète préférence, et, dans le cours de son histoire, elle déclame souvent contre l’ambition, la ruse et la fourberie du prince de Tarente. Au reste, Anne Comnène n’épargne pas plus les Latins que les historiens latins n’ont épargné les Grecs. Quoique les récits et les plaintes des uns et des autres soient exagérés, on y trouve cependant un fond de vérité ; les Grecs avaient à se plaindre des guerriers de l’Occident, et ceux-ci n’eurent pas moins à se plaindre des Grecs. Il y avait beaucoup de mal à dire des uns et des autres. Nous devons à Anne Comnène plusieurs particularités curieuses, qui, sans elle, seraient perdues pour l’histoire ; mais on lui a reproché avec raison de se perdre dans les détails et de négliger quelquefois les faits importants. Elle confond souvent les époques, dénature les événements et les noms des personnages ; elle rapporte quelquefois des prodiges et des fables qu’on croyait de son temps à Constantinople, et qui prouvent que les Grecs du 12e siècle n’étaient guère moins superstitieux que les Latins ; en un mot, son ouvrage est, en beaucoup d’endroits, un guide tres-infidèle, et ceux qui y cherchent la vérité ne doivent le lire qu’avec les notes judicieuses et les savants commentaires de du Cange. L’Alexiade, ou l’histoire d’Alexis, divisée en 45 livres, a été imprimée plusieurs fois ; une des meilleures éditions eqr celle du Louvre, avec les notes de David Hoeschelius, in-fol., 1651. Le président Cousin, qui a traduit la Byzantine, a fait une version française de l’Alexiade qui a été louée par quelques biographes, et qu’on doit cependant lire avec précaution. M-d.


ANNE de Savoie, impératrice de Constantinople, était fille d’Amédée V, comte de Savoie. En 1527, Andronic le Jeune, empereur d’orient, qui cherchait à s’appuyer de l’alliance des puissances européennes, épousa cette princesse. Elle arriva à Constantinople avec une suite brillante, et les chevaliers qui l’accompagnèrent firent connaître aux Grecs les tournois, jeux inconnus jusque-là dans l’orient. Lors de la mort d’Andronic, son fils, Jean Paléologue, étant encore en bas âge, Anne, excitée par le protovestiaire Apocauque, enleva la régence à Cantacuzène, dont les vertus et les talents méritaient cette importante fonction ; les troupes indignées la forcèrent de le rappeler. Entraînée une seconde fois par de basses intrigues, elle voulut le déposer, tandis qu’il était occupé à repousser les ennemis de l’empire, et les députés qu’il lui avait envoyés reçurent de mauvais traitements ; mais un parti puissant portait Cantacuzène sur le trône. Anne. ef-