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ARÉTIN (Pierre), l’un des auteurs italiens du 16e siècle qui fit le plus du bruit, mais qui dut la plus grande partie de sa réputation aux excès de sa plume. La bizarrerie de sa destinée répond à celle de son génie. Fils naturel d’un simple gentilhomme, il parvint à la faveur des princes et des rois. On le nomma leur fléau, et il poussa auprès d’eux la flatterie jusqu’à la plus basse adulation : il eut lui-même des admirateurs outrés et des flatteurs, malgré la virulence et l’emporte nient de ses satires : aussi rempli de jactance et d’orgueil que de fiel, il souffrit avec résignation les traitements qu’on ne hasarde qu’avec des lâches : écrivain licencieux, au point que son nom est devenu celui de l’effronterie, du scandale et de l’obscénité même, il fut aussi auteur dévot, et publia un assez grand nombre d’ouvrages de piété, qui ne paraissent pas lui avoir plus coûté que les autres, et qu’il préférait quand ils lui rapportaient davantage ; enfin, auteur souvent au-dessous du médiocre, sinon dans un genre où il est honteux d’exceller, il reçut le surnom de divin ; il se le donna lui-même, le répéta, le signa, comme on ajoute à son nom une seigneurie ou un ornement de plus à ses armes. Né en 1492 dans cette ville de Toscane dont il a presque souillé le nom, il n’y fit que de médiocres études ; mais il annonça de bonne heure et des dispositions brillantes, et l’usage qu’il en devait faire un jour. Un sonnet contre les indulgences le fit chasser d’Arezzo. Réfugié à Pérouse, il y fut d’abord connu par une polissonnerie boutonne. Une peinture édifiante, qui ornait la place publique, représentait la Madeleine aux pieds du Christ, tendant les bras dans l’attitude de la douleur. Pierre, qui peignait passablement, alla, pendant la nuit, y peindre un luth qu’il mit entre les mains de la sainte, et l’on conçoit quel changement cela fit dans l’expression du tableau. Il subsista quelque temps à Pérouse de l’état de relieur. Il se rendit ensuite à Rome à pied, et sans autres habits que ceux qu’il avait sur le corps. Il parvint en assez peu de temps à être attaché, sans que l’on sache à quel titre, au pape Léon X. Il le fut ensuite à Clément VII, successeur d’Adrien VI. Seize infâmes sonnets, qu’il fit pour les seize figures obscènes dessinées par Jules Romain, et gravées par Marc-Antoine Raimondi, le tirent sortir de Rome. Jean de Médicis, connu dans les guerres d’Italie sous le nom de chef des bandes noires, peu effrayé sans doute de cette licence de mœurs, l’appela auprès de lui, et le conduisit à Milan, où l’Arétin eut l’occasion de se rendre agréable à François Ier. De retour à Rome, il fut, peu de temps après, poignardé et estropié par un gentilhomme bolonais, pour des vers qu’il avait faits pour ou contre une cuisinière, dont ils étaient amoureux à la fois, l’un, malgré l’orgueil de son talent, l’autre, malgré l’orgueil de sa noblesse. N’ayant pu obtenir justice de cet assassinat, il retourna auprès de Jean de Médicis, qui le prit si fort en amitié, qu’il lui faisait partager, non-seulement sa table, mais son lit. C’était alors le comble de la politesse. On n’est pas aujourd’hui aussi poli entre hommes, ou du moins on l’est autrement. Jean de Médicis, blessé dans un combat, mourut peu de temps après des suites de ses blessures, et il mourut entre les bras de son cher Arétin qui montra pour lui, pendant sa maladie, et même après sa mort, une affection, pour ainsi dire passionnée. Il prit alors le parti de vivre libre, et du seul produit de sa plume. Il alla se fixer à Venise en 1527 : il s’y fit des amis puissants, dont l’un, évêque suffragant de Vicence, le réconcilia avec le pape Clément VII, et le servit si bien auprès de l’empereur Charles-Quint, que ce monarque lui envoya une de ces belles chaînes d’or que l’on portait alors au cou, comme objet de luxe et comme marque d’honneur. François Ier ne voulut pas être moins généreux que son rival, et fit présent à l’Arétin d’une chaîne pareille. Le fameux duc de Lève lui fit une forte pension. Pierre provoquait ces libéralités, en déclarant de temps en temps que, puisque les princes chrétiens récompensaient si mal son mérite, il passerait chez les infidèles, où il irait vieillir dans la pauvreté. Outre les pensions et les présents, écrivant sans cesse, dans une ville où il lui était permis de tout imprimer, il gagnait, selon ses propres expressions, 1,000 écus d’or par an, avec une rame de papier et une bouteille d’encre. Il prit, pour l’aider dans ses travaux, le célèbre Niccolo Franco, auteur aussi mordant et aussi impudent que lui, mais beaucoup plus savant, surtout en grec et en latin, langues dont l’Arétin ignorait entièrement l’une, et savait médiocrement l’autre, quoique dans ses écrits sérieux il ne fit aucune difficulté de décider et de trancher également sur toutes deux. Alors sa renommée s’accrut ; de toutes les parties de l’Italie, on lui écrivait, on le vantait, on lui adressait des dédicaces, et l’on venait le visiter. C’était une jouissance pour son orgueil, mais c’était aussi une perte de temps à laquelle il trouvait remède, en se réfugiant, pour travailler, chez quelques-uns de ses amis, ou, comme il l’avoue franchement, de ses amies. Il ne dissimulait pas plus sa vénalité que son immoralité. Quelque temps il tint la balance des louanges égale entre Charles-Quint et François Ier mais le monarque espagnol lui fit une pension de 200 écus ; le monarque français ne l’imita pas cette fois ; toutes les louanges furent alors pour Charles ; et le nom de François disparut des vers et de la prose de l’Arétin. On lui promit, au nom du roi, une pension de 400 écus ; il promit, à son tour, que, dès qu’il aurait reçu le brevet de Sa Majesté, il célébrerait plus haut que jamais sa gloire. Le brevet ne vint pas, et le poète ne chanta plus que Charles-Quint. L’Empereur fit bientôt une plus forte recette en louanges, et l’Arétin en traitements honorables, et, ce qu’il aimait encore mieux, en or. Charles-Quint, a son retour en Allemagne en 1543, passant sur les États de Venise, le duc d’Urbin, député par le sénat pour le complimenter, mena l’Arétin avec lui. L’Empereur, qui était à cheval, comme l’ambassadeur et son cortége, ayant aperçu le poête décoré de sa belle chaîne, lui fit signe d’approcher, le mit à sa droite, et l’entretint, pendant tout le chemin, jusqu’à Peschiéra, où il eut encore avec lui une conversation longue et familière. Ce fut alors que l’Arétin lui récita un panégyrique de 500 vers, plein de ces exonérations qu’il n’y a de pudeur ni à