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de Portugal à refuser, à cette époque, les secours de l’Angleterre en hommes et en argent, après avoir convaincu le cabinet britannique que ce n’était qu’une ruse diplomatique. En vain le comte de Funchal chercha-t-il à persuader à sa cour qu’il fallait néanmoins accepter les offres de la Grande-Bretagne en argent pour mettre l’armée sur un pied respectable : d’Araūjo refusa tout, de peur de compromettre la neutralité du Portugal ; et, lorsque le danger arriva, le royaume se trouva sans moyens de défense, sans ressources. Ce fut alors que, ne sachant plus que tergiverser, le régent refusa de saisir les propriétés anglaises et de faire arrêter les sujets britanniques, et qu’il consentit aux autres propositions, ne demandant que du temps pour les exécuter. Trois jours avant la présentation des notes de MM. de Rayneval et de Campo-Alange, le ministère avait reçu du cabinet de St-James l’assurance qu’il n’y aurait point de réclamations pour le fait de la clôture des ports, pourvu qu’on respectât les propriétés anglaises. Le chevalier d’Araūjo chargea M. de Souza (depuis comte de Funchal), ministre à Londres, de remercier le gouvernement anglais pour son indulgente condescendance, et d’accepter son offre d’une escadre qui se réunirait à la flotte portugaise, dans le cas où le prince se verrait forcé de quitter le Portugal. On promit en même temps sûreté pour les propriétés et les sujets britanniques, et l’on donna l’assurance que la marine portugaise ne se joindrait point à celle des ennemis de l’Angleterre. Mais, pendant qu’on délibérait dans le conseil à Lisbonne, l’armée française entrait en Espagne. Le gouvernement portugais permit à quatre convois considérables de sortir de Lisbonne et de Porto, chargés de propriétés anglaises, et ce ne fut qu’après le départ de ces convois et celui de presque tous les Anglais, que d’Araūjo fit paraître le décret par lequel le prince régent déclara les ports de ses États fermes a tout bâtiment anglais. MM. de Rayneval et de Campo-Alange quittèrent Lisbonne, regardant les propositions de leurs gouvernements comme éludées. Il ne restait d’autre ressource que de s’occuper sans relâche des préparatifs de départ ; mais il régnait une telle indécision dans le cabinet, que la famille royale ne dut son salut qu’à un heureux hasard et à la précipitation que mit Napoléon à prononcer la déchéance de la maison de Bragance. Lord Strangford, après avoir quitté Lisbonne, s’était rendu a bord de l’escadre anglaise qui croisait devant ce port ; il y reçut le Moniteur du 11 novembre, dans lequel l’empereur des Français déclarait que la maison de Bragance avait cessé de régner. Il s’empressa de se rendre au palais et de communiquer cette pièce au régent. Toute hésitation fut alors impossible, et le départ fut fixé pour le 27 à neuf heures du matin ; mais il ne put s’effectuer que le 29. Junot fit son entrée à Lisbonne le lendemain, et il réussit encore à prendre quelques navires. Sans le changement de vent qui favorisa la sortie dans la journée du 29, et qui devint contraire le 30, toute la flotte portugaise tombait au pouvoir des Français par la coupable imprévoyance des ministres. Ce qu’on aura peine à croire, c’est que l’armée française était déjà le 26 à Abrantès, sans que le ministre de la guerre en eût reçu le moindre avis. On avait placé toutes les troupes sur les côtes, en laissant aux Français les chemins de la capitale entièrement libres. Tant d’insouciance de la part d’Araūjo, que l’influence française avait fait entrer au ministère, fut, aux yeux du public, un indice de trahison, et lorsqu’il voulut s’embarquer, il fut accueilli par les huées de la populace, et ne put se rendre à bord d’un vaisseau qu’à la faveur de la nuit. Il est pourtant bien reconnu que ce ministre n’eut jamais l’intention de trahir son prince ; mais il ne l’est pas moins que son aveugle imprévoyance exposa la famille royale au plus imminent danger, et qu’elle livra sans coup férir le Portugal à son plus dangereux ennemi. Quelque temps avant le départ de la cour, on avait envoyé à Paris le marquis de Marialva, avec des pleins pouvoirs, demander la main d’une fille de Murat pour le jeune dom Pédro (depuis empereur du Brésil). Cette mission n’eut point de suites ; et le marquis de Marialva alla se réunir à la députation portugaise de Bayonne, et demander à Napoléon un roi de son choix pour gouverner le Portugal. — Arrivé au Brésil, d’Araūjo fut disgracié en apparence et remplacé par dom Rodrigo de Souza ; mais il conserva les bonnes grâces du prince, et il eut encore assez d’influence. En 1814, il fut nommé au département de la marine et des colonies ; et l’année suivante il fut créé comte da Barca. Par suite de la mort de deux ministres, il se trouvait chargé de trois portefeuilles au moment où il mourut, le 21 juin 1817. Il avait rendu des services au Brésil et s’y était fait aimer par ses manières affables. C’est grâce a ses soins, et en partie à ses frais, que fut établi à Rio-Janeiro un laboratoire de chimie dont le gouvernement fit, en 1812, un établissement publie. D’Araūjo avait cultivé dans sa jeunesse la poésie et composé deux tragédies qui sont restées inédites, et auxquelles il travaillait encore au Brésil, l’une intitulée Osmia, et l’autre Inez de Castro. Il avait traduit les odes d’Horace. Son ami dom Souza-Botelho fit imprimer à Hambourg la traduction par d’Araūjo de l’élégie sur un Cimetière de campagne et de quelques odes de Gray, ainsi que celle de l’ode de Dryden à Ste. Cécile ; le mérite littéraire en est fort mince. D’Araūjo avait du goût, mais il manquait de verve, et n’était qu’un versificateur médiocre. L’académie des sciences de Lisbonne a inséré dans son recueil un mémoire dans lequel ce diplomate défend le Camoëns contre les critiques de Laharpe. Il fut l’ami et le protecteur généreux du célèbre Francisco Manoel de Nascimento, l’un des plus grands poëtes de sa nation. D’Araūjo était conseiller d’État, grand-croix de l’ordre du Christ, de la Tour et de l’Épée, de l’ordre espagnol d’Isabelle la Catholique, et grand aigle de la Légion d’honneur. Avant d’entrer au ministère, il jouissait dans toute l’Europe d’une grande réputation : il l’éût probablement conservée s’il n’eût point quitté la carrière diplomatique ; assez habile pour conduire une négociation, il n’avait pas les qualités néces-