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et non avenu. Dans cet intervalle, le cabinet de St-James, prétextant les dangers dont le Portugal était menacé par l’expédition dont on commençait à s’occuper en France, avait envoyé à Lisbonne plusieurs régiments d’émigrés français et quelques corps anglais, qui occupèrent les forts de la barre et tinrent garnison dans la capitale. Pour faire bien apprécier ce que le Portugal a perdu par le rejet du traité qu’avait signé Araūjo, nous citerons une note de Bourgoing insérée dans la seconde édition du Voyage du duc du Châtelet en Portugal. Ce diplomate a parfaitement prévu et nettement annoncé le sort réservé à ce pays. « Le premier traité, dit-il, fut donc déclaré comme non avenu par le gouvernement français, et le Portugal fut livré a de nouvelles crises. Telles sont les obligations qu’il a à ses puissants alliés : il n’obtiendra plus la paix qu’après avoir essuyé des revers, ou qu’en faisant des sacrifices bien plus douloureux que ceux qu’on avait d’abord exigés de lui ; et l’Angleterre l’en dédommagera-t-elle ? Le Portugal profitera-t-il de cette leçon amère pour adopter enfin une politique et moins versatile ?… Nous allons placer ici le sommaire du traité de paix qu’il eût accepté s’il eût été mieux conseillé : on pourra le comparer avec celui que la victoire ou la crainte lui dicteront tôt ou tard. » On dirait que l’auteur qui écrivait en 1798 avait deviné dès lors ce qui eut lieu en 1801, 1803 et 1807. Les points saillants du traité sont : 1° la fixation des limites des deux Guyane (française et portugaise), toute favorable aux Portugais ; ce fut le résultat d’une erreur ou de l’ignorance de Charles Lacroix en fait de géographie : elle a été rectifiée par le traité de 1801. 2° La république française consentait à l’exclusion des draps français des ports du Portugal. 3° La France n’obtenait aucun avantage particulier, et aucun sacrifice n’était imposé au Portugal. Il n’y fut pas même stipulé des indemnités pour les Français dépouillés de leurs propriétés avant la déclaration de guerre, sur les côtes d’Afrique, à Lisbonne et ailleurs. Le chevalier d’Araūjo résida quelque temps à la Haye, fut ensuite nommé ministre à Berlin, et se lia avec plusieurs savants et littérateurs de l’Allemagne, qui apprécièrent l’étendue de ses connaissances, comme on peut le voir dans la Correspondance astronomique de Zach. Rappelé en Portugal en 1800, lorsque ce pays était menacé par les forces combinées de l’Espagne et de la France, il fut chargé d’aller négocier une paix séparée avec le premier consul, et se rendit sur une frégate portugaise à Lorient ; mais il ne lui fut pas même permis de débarquer. De retour à Lisbonne, il trouva la paix signée à Badajoz par Pinto, et le duc de Lafòes disgracié. Ce trop confiant vieillard, de même que son protége d’Araūjo, s’était laissé jouer par ses ennemis. En envoyant d’Araūjo en France, on avait voulu priver le duc d’un conseiller éclairé et dévoué, afin de l’entourer de faux amis qui devaient le conduire à sa perte. La vanité de ce diplomate lui fit envisager la mission comme glorieuse et d’une réussite probable. Il était pourtant évident qu’à cette époque Bonaparte avait trop d’intérêt à flatter l’Espagne et le prince de la Paix pour consentir à conclure un traité séparé avec le Portugal. Le chevalier d’Araūjo resta quelque temps sans emploi ; mais après la paix d’Amiens, il fut nommé ministres St-Pétersbourg, où il résida jusqu’en 1803. Il fut alors rappelé pour remplacer le comte d’Alméida, que l’influence du cabinet français avait fait renvoyer du ministère. Devenu ministre des affaires étrangères et de la guerre, le chevalier d’Araūjo trompa l’espoir de ses amis et de la nation ; uniquement occupé du soin de sa fortune et des intérêts de ses parents, il ne fit rien pour son pays, et ne songea qu’il faire la cour au prince régent et à son ministre favori, le comte de Villaverde. Après la mort de celui-ci, en 1806, on crut que d’Araūjo prendrait quelque ascendant sur le faible Jean VI, qui, atteint d’une mélancolie profonde et miné par des chagrins domestiques, cherchait en vain un ami capable de lui inspirer de la confiance. Le chevalier d’Araūjo aurait pu se rendre nécessaire au prince dans la crise que tout le monde voyait approcher ; mais ce ministre montra une incapacité absolue comme homme d’État ; il parut avoir oublié tout ce qu’il avait appris dans sa longue carrière diplomatique ; surtout il se trompa grossièrement sur les vues de Napoléon et sur les projets de ce conquérant à l’égard de l’Espagne. Mal servi par les agents diplomatiques portugais à Paris et à Madrid, il perdit la tête lorsqu’il vit l’abîme s’ouvrir devant ses pas. M. de Lima et le comte da Ega n’avaient pas eu le plus léger soupçon des négociations qui conduisirent à la signature du fameux traité de Fontainebleau (27 octobre 1807), et le cabinet portugais fut frappe de stupeur à la réception de la note présentée par M. de Rayneral, chargé d’affaires de France, de concert avec le marquis de Campo-Alange, ambassadeur d’Espagne. Les propositions de Napoléon étaient : que le Portugal fermât ses ports aux Anglais ; qu’il déclarait la guerre à l’Angleterre, et qu’il se disposât à joindre ses forces navales à celles de la France et de l’Espagne ; enfin qu’on arrêtât tous les sujets britanniques, et qu’on mit le séquestre sur leurs propriétés. En cas de refus, on menaçait d’occuper le Portugal et de mettre des garnisons françaises dans ses ports. Le chevalier d’Araūjo, tout à fait déconcerté, ne trouva rien de mieux que de faire une réponse évasive, croyant qu’il aurait le temps de consulter le cabinet de St-James. Se flattant de conjurer l’orage par des négociations et de nouveaux sacrifices pécuniaires, il crut que c’était encore une fausse alarme comme les menaces qui avaient été faites l’année précédente pour effrayer le ministère anglais, lorsque Talleyrand déclara à lord Lauderdale que, si la paix n’était pas conclue, l’armée assemblée à Bayonne se mettrait immédiatement en marche pour faire la conquête du Portugal, et lui annonça le partage de ce royaume tel qu’il fut réglé l’année suivante dans le traité de Fontainebleau[1]. D’Araūjo avait décidé le régent

  1. Voy. l’écrit du comte de Funchal. ministre de Portugal à Londres, intitulé les Quatre Coïncidences de dates.