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qui avait quatre ans à peine en 1792, fut destitué pour avoir joué un rôle dans notre grande période révolutionnaire. Sans but arrêté, il s’embarqua alors pour la Nouvelle-Orléans. Bientôt il se joignit à l’expédition de Mina jeune, et ses connaissances en administration militaire, puisées quelques années auparavant, en Espagne, auprès du général Duhesme, duquel il avait été secrétaire, furent d’un grand secours. Dans cette guerre de l’indépendance, entreprise pour secouer le joug des Espagnols, Jean Arago ne se distingua pas moins par sa bravoure personnelle que par ses talents militaires. En 1818, à la suite d’une espèce d’insurrection du corps des officiers contre le Padre Torres, il fut nommé par eux commandant en chef. Cette nomination fut confirmée par le gouvernement national. Depuis la fin de 1816 jusqu’à la fin la fin de 1821, où les soldats de l’indépendance firent leur entrée à Mexico, tout fut travaux et dangers pour Jean Arago. Resté presque seul de la glorieuse tentative de Mina, il fut poursuivi, traqué, luttant sans cesse contre les troupes royales et contre toute espèce de privations, jetant partout des idées de liberté, et continuant la guerre nationale avec un succès inespéré. Tour à tour compagnon d’armes ou ami des hommes qui ont gouverné le Mexique, le général Arago ne chercha jamais à s’élever par l’intrigue ou la faveur. Né sur une terre étrangère, il comprenait qu’il avait à faire plus que les enfants du Mexique pour être vu sans jalousie dans cette seconde patrie que l’exil lui avait donnée. « Ce qui me rendra toujours fier, écrivait-il à son frère aîné, M. F. Arago de l’Institut, c’est que je crois avoir gagné l’estime générale, et que j’ai sans cesse, en servant ma patrie adoptive, mis le plus grand soin à conserver intact l’honneur du nom français et de celui d’Arago, que je porte avec orgueil parce que tu l’illustres. » On aime à voir ces hommes, dont nos dissensions politiques ont privé notre pays, conserver sur la terre étrangère le sentiment de la famille et celui de la patrie. La France fut le rêve constant de Jean Arago, et ses compatriotes résidant au Mexique eurent souvent à lui rendre des actions de grâce. Sa bourse fut ouverte à tous les malheureux ; sa protection préserva plus d’une fois du pillage le quartier des négociants français durant les émeutes et les révolutions de la superbe Mexico. Santa-Anna lui dut une grande partie de ses premiers succès presque sans revers. En 1856, bravant des symptômes d’hydropisie, Arago voulut suivre l’expédition du Texas ; mais dans les derniers jours de juin il rentra à Mexico, où il expira, le 9 juillet 1836. Tour à tour directeur général du corps du génie, qui lui doit une organisation convenable, pacificateur de villes révoltées, major général d’armées expéditionnaires, gouverneur des provinces où sont situées les mines les plus riches du Mexique, Jean Arago ne laissa pas à sa mort la somme nécessaire aux frais de sa sépulture. A-o (E.).


ARAGON (Jeanne d’). Un recueil de vers italiens, publié à Venise, en 1558, sous le titre de : Tempio alla divina signora Giovanna d’Aragona, et qui contient des morceaux d’un grand- nombre de poëtes, à la louange de cette dame, n’est pas la seule preuve que l’on ait de son mérite, de son courage, de ses vertus presque héroïques. Dans le 16e siècle, où l’Italie compta plusieurs femmes illustres, elle fut une des plus distinguées et des plus belles. Épouse d’Ascagne Colonne, prince de Tagliacozzo, elle eut occasion de faire preuve de ses grandes qualités dans les querelles de la famille Colonne avec le pape Paul IV. Son mari ayant été arrêté à Naples, elle voulait l’aller rejoindre ; elle eut défense de sortir de Rome, et le respect dû a son sexe empêcha seul qu’en ne l’arrêtât elle-même ; mais rien ne put lui arracher une marque de crainte ou de faiblesse. Elle mourut en 1577, dans un âge très-avancé. G-é.


ARAGON (Tullie d’), l’une des femmes-poètes les plus célèbres d’Italie, florissait au 16e siècle. Elle descendait de la branche de cette maison royale qui avait régné à Naples ; mais non par une descendance légitime. Le cardinal Pierre Tagliavia d’Aragon, archevêque de Palerme, l’avait eue à Rome d’une belle Ferraraise, nommée Giulia. Il lui assura une fortune suffisante pour la faire vivre dans l’aisance. Elle était belle, et une éducation soignée joignit à cet avantage naturel les talents les plus rares. Étant encore presque enfant, elle parlait et écrivait en latin et en italien, sur toutes sortes de sujets, comme le littérateur le plus instruit ; et lorsqu’elle parut dans le monde, sa beauté, son esprit, sa politesse, la décence de ses manières, l’élégante magnificence de ses habits, attirèrent tous les regards. Elle jouait de plusieurs instruments et chantait avec un goût et un art admirables ; ses discours étaient remplis de raison et de grâce ; rien enfin ne lui manquait pour séduire ; aussi eut-elle un grand nombre d’adorateurs, et principalement parmi les poëtes. Ils lui adressaient des vers pleins d’admiration et d’amour ; elle leur répondait souvent dans le même langage, et elle passe pour avoir répondu à plusieurs d’entre eux autrement que par des vers. Le cardinal Hippolyte de Médicis, Hercule Bentivoglio, Philippe Strozzi, le Molza, Varchi lui-même, et, plus encore, Pierre Manelli de Florence, et le célèbre poëte Muzio, furent ses intimes amis. Elle vécut le plus souvent à Ferrare et à Rome ; elle fit aussi un assez long séjour à Venise. Enfin, déjà assez avancée en âge, elle se retira à Florence, sous la protection de la duchesse Léonore de Toléde. Elle lui dédia le recueil de ses poésies, auxquelles elle joignit plusieurs de celles dont elle avait été l’objet ; et mourut, comme elle l’avait toujours désiré, avant d’arriver à une extrême vieillesse. Ses ouvrages sont : 1° ses poésies, ou Rime, Venise, 1517, in-8o, dédiées à la duchesse de Florence, et réimprimées ensuite plusieurs fois. 2° Dialogo dell’ inifinità d’Amore, Venise, 1547, in-8o ; dans ce dialogue sur la puissance infinie de l’amour, Tullie d’Aragon se met elle-même en scène avec Varchi, et un autre de ses amis intimes, Lactance Benucci. 5° Il Meschino, o il Guerino, poema (in ottava rima), Venise, 1560, in-4o. Ce poëme, en 56 chants, est tiré d’un vieux roman en prose, que Tullie dit espagnol, mais que les philologues italiens prétendent, avec plus de fondement, avoir