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sin, et fut admis ; dans sa huitième année, comme élève, à l’Académie des beaux-arts de sa ville natale. Doué d’un génie ardent et d’une imagination, féconde, il surpassa bientôt ses condisciples, et remporta, à l’age de quinze ans, le grand prix e peinture. Cette distinction le signala à l’attention de son souverain, qui lui accords les moyens d’entreprendre un voyage pour perfectionner son talent. Après avoir visiter l’Allemagne, la France et la Suisse, il se rendit à Rome. Frappe d’admiration a l’aspect des immortels chef-d’œuvre que renferme cette capitale, ol jeta ses pinceaux et se mit à les étudier avec une ardeur extrême. Cette étude passionnée, qu’il prolongea durant cinq années entières, n’altéra point le caractère original de son talent. De retour dans sa patrie, il fut successivement chargé de faire différents tableaux pour les résidences royales. Ceux qu’il exécuta pour la grande salle de cérémonie du palais de Christiansbourg à Copenhague[1], et dont les sujets étaient tirés de l’histoire du Danemark, produisirent un effet magique, et ajouteront a l’éclat de cette salle si célèbre par le grandiose de son architecture et la richesse de ses décorations. Ces ouvrages fondèrent la réputation d’Abildgaard et lui valurent le brevet de peintre du roi. Parmi les autres tableaux dont il enrichit le palais de Christiansbourg, on remarquait particulièrement une série de quatre tableaux représentant l’Europe personnifiée aux quatres principales époques de son histoire. Son Philoctéle blessé et son Cupidon, deux tableaux du plus beau fini, qui ont passé en Espagne, prouvent, par leur opposition complète, qu’il traitait avec un égal succès les sujets les plus sévères et les plus gracieux. L’Académie des beaux-arts de Copenhague posséde trois de ces ouvrages : un Socrate, remarquable par la correction du dessin et la vigueur du coloris (tableau sur lequel il fut reçu membre de l’Académie ; Jutpiter pesant la destinée des hommes, admirable composition où la plus grande énergie se joint au goût le plus pur et à la sévérité la plus antique ; l’ombre de Culmin apparaissant à sa mère (d’après Ossian), tableau aussi heureusement peint qu’ingénieusement composé. Parmi les autres compositions capitale d’Abildgaard, nous citerons encore quatre tableaux de grandes dimensions représentant des sujets tirés des comédies de Térence. Ces tableaux, les derniers qu’il ait faits, et où l’on admire surtout l’architecture qui y est rendue avec une rare perfection, se trouvent actuellement en Angleterre. Abildgaard est, sans contredit, le plus grand peintre que le Danemark ait eu. Ses compositions sont riches et travaillées avec autant de goût que de soin ; elles annoncent par l’exécution, et souvent par le choix du sujet, un peintre qui s’est formé par une étude approfondie de l’antiquité er des grans maîtres italiens. Une différence essentielle se fait remarquer entre ses tableau d’imagination et ses tableaux d’histoire ; ceux-la portent l’empreinte d’une sombre mélacolie, tandis-que ceux-ci respirent, si l’on peut parler ainsi, une grande sérénité ; on reconnait dans les uns l’influence du triste climat de son pays natal, dans les autres, des souvenir des riantes contrées de l’Italie. Quant au coloris et à la manière de rendre le nu, les ouvrages d’Abildgaard égalent, s’ils ne surpassent, ceux plus célèbres peintres des temps modernes ; on prétend même qu’ils peuvent être comparer, sous ces rapports, aux meilleures productions de Paul Véronèse et du Titien. C’est a cause de la perfection de son coloris que quelques-uns de ses admirateurs, dont, certes, nous sommes loin de partager l’opinion, lui ont donné le surnom de Raphaël du Nord. Malheureusement plusieurs de ses plus beaux ouvrages ont péri dans l’incendie du palais de Christiansbourg. Sa veuve, qui habite Copenhague, possède une collection de ses dessins qui n’a pas encore été publiée, et dans laquelle on retrouve la même correction et la même facilité qui caractérisent le reste de ses œuvres. Il importait à l’art (et surtout en Danemark, pays si pauvre d’artistes) qu’un peintre qui s’était élevé au rang des maîtres fit des élèves ; aussi Abildgaard fut-il nomme professeur à l’Académie des beaux-arts de Copenhague, dont il était déjà un des membres les plus distingués. Plus tard il cumula ces fonctions avec celles de directeur, de cette même Académie qui lui est en partie redevable de toute la réputation dont elle jouit. Il a formé plusieurs élèves qui font aujourd’hui honneur à leur patrie, entre autres le célèbre sculpteur Thorvaldsen. Bien qu’il répétât souvent à ses élèves que, pour l’artiste, la théorie n’était rien, la nature et la pratique tout, il n’en consacrait pas moins le peu de loisir qui lui restait à des recherches sur la partie théorique et historique de son art. Il était d’ailleurs si loin de méconnaître les avantages d’une instruction étendue, qu’il approfondissait jusqu’aux choses qui avaient le moins de rapport à la peinture. On en trouve une preuve irrécusable dans les nombreux articles qu’il a fait insérer dans les journaux du temps, et qui avaient principalement objet, soit de rectifier ce qu’il y avait d’erroné dans les jugements portés sur des ouvrages de peinture moderne, soit d’analyser ou d’expliquer des monuments antiques. Abildgaard mourut à Copenhague, le 4 juin 1809. Il venait de recevoir la décoration de l’ordre du Dannebrog. Outre les dessins inédits dont nous avons parlé ; il laissa une excellente bibliothèque qui fut achetée par l’Académie des beaux-arts de Copenhague, et plusieurs ouvrages manuscrits, parmi lesquels se trouve un traité remarquable sur le théâtre des anciens. Fernou, dans sa Biographie des peintre A.-F. Carstens, Leipsick, 1806, tout en rendant hommage au beau talent d’Ahildgaard, blâme sevèrement cet artiste sous le rapport moral, et lui reproche, entre autres choses, d’avoir persécuté te jeune Carstens pendant que celui-ci fréquentait l’Académie de Copenhague, parce que, dit-il, Abildgaard croyait que Carstens, observait sa manière de peindre et cherchait à lui dérobé son secret pour le coloris ; mais cette allégation aussi bien que les autres du même genre qui se trouvent dans l’ou-

  1. On sait que ce palais, un des plus magnifique de l’Europe, devint la proie des flammes en 1794.