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ABE

renferme d’une manière irréductible la quatrième puissance de l’inconnue, sous un radical carré. Cette formule, à laquelle on était conduit par la rectification des sections coniques, repoussa les efforts de tous les géomètres, et même aujourd’hui on n’est guère plus avancé sous ce rapport-là, puisque Laplace a été jusqu’à dire qu’il est impossible d’obtenir cette intégrale sous forme finie, proposition que plus tard Abel a tenté de démontrer. Quoiqu’il en soit de cette impossibilité, on se persuada bientôt qu’au lieu de se consumer en vains efforts, il valait beaucoup mieux considérer cette classe de différentielles comme une transcendante particulière, en tachant de réduire à leur forme la plus simple toutes celles qui en dépendaient. On a dit que Maclaurin et d’Alembert avaient été les première à s’occuper de cette réduction ; mais ce fait n’est pas exact, car, bien avant que ces géomètres publiassent leurs travaux sur ce sujet (qui sont de 1742 et 1746 et qui n’offrent pas un grand intérêt), un géomètre italien, Fagnani, doué d’une grande sagacité, et qui obtint depuis de Lagrange une marque très-flatteuse d’estime, avait ouvert la route à ces recherches en publiant, en 1718[1], un mémoire où il donnait une intégrale particulière de l’équation différentielle qui sert à la division de l’arc de la lemniscate, et exposait les équations algébriques qui servent à la résolution du problème. Généralisée par son auteur, dans la suite, cette découverte (qui transportait à une courbe transcendante un procédé que pendant plus de vingt siècles on avait cru applicable à la géométrie élémentaire seulement) forme la base de ce qu’on appelle la comparaison des amplitudes dans la théorie des fonctions elliptiques, et a mérité les éloges de tous les géomètres. Euler, ayant eu connaissance de la découverte de Fagnani, reprit le même sujet et trouva, par une sorte de divination, l’intégrale générale d’une équation différentielle du premier ordre dont chaque membre était une transcendante elliptique complète. Mais cette intégrale ne pouvait pas se rattacher à l’analyse ordinaire, et c’est Lagrange qui eut le mérite de la retrouver directement par une méthode extrêmement élégante. Jusqu’ici on n’avait compare que les arcs d’une fonction elliptique pris sur la même courbe ; mais en 1775, Landen, géomètre anglais très-distingué, trouva un théorème fort remarquable, par lequel on apprenait à mesurer toujours un arc d’hyperbole par deux arcs d’ellipse, et fonda cette théorie qu’on appelle maintenant la transformation des modules, et qui sert à la transformation d’une section conique donnée, en une autre de paramètre différent. Plus tard, Lagrange montra, par une méthode très-simple, comment on pouvait réduire, par des transformations successives, un arc d’ellipse à différer très-peu d’une ligne droite ou d’un arc de cercle. Cependant ces recherches demeuraient éparses et sans lien commun, lorsqu’en 1793, M. Legendre publia un Mémoire sur les transcendantes elliptiques, où il commençait d’abord par établir un algorithme propre à exprimer ces fonctions et à les calculer avec facilité, et où, en continuant les recherches Lagrange, il donnait une échelle de transformation pour les modules. Pendant longtemps personne ne s’occupa de ces questions, et quoique M. Gauss, par son annonce sur la division de l’arc de la lemniscate, eût montré qu’il s’était occupé des transcendantes elliptiques, et que, l’on sache d’ailleurs qu’il a fait des découvertes importantes dans cette branche de l’analyse, il n’a pas encore publié le résultat de ses recherches. Cependant M. Legendre, avec cette persévérance qui caractérise ses travaux, prépara pendant vingt ans ses exercices de calcul intégral, où, entre autres choses, il traite complètement des fonctions elliptiques, donne des tables pour leur calcul numérique, et montre quelques-unes de leurs applications à la mécanique. Mais les géomètres, à cette époque, s’occupant spécialement de physique mathématique, laissèrent de côté ces recherches, et M. Legendre eut le temps de travailler plusieurs années sans qu’on fit rien de remarquable dans cette belle partie de l’analyse. En 1827, lorsqu’il venait de faire paraître son Traité des fonctions elliptiques, Abel publia, dans le second volume du journal de M. Crelle, son premier mémoire sur ces mêmes fonctions. Il serait impossible, sans sortir des bornes d’un article biographique, de rendre un compte détaillé des découvertes que renferme cet écrit ; nous dirons en substance qu’il contient toutes les formules nécessaires pour la comparaison des amplitudes, et qu’il donne, pour la multiplication et le développement des transcendantes elliptiques, des expressions très élégantes, analogues à celles que l’on connaissait depuis longtemps pour les fonctions circulaire. À peine ce beau travail pouvait-il être connu des géomètres, que M. Jacobi de Kœnigsberg fit paraître, dans le journal de M. Schumacher[2], une courte notice dans laquelle il énonçait des théorèmes très-importants sur la transformation des modules par une infinité d’échelles nouvelles. Abel répondit par un second mémoire où il s’occupait aussi de cette transformation d’une manière générale ; dès ce moment, il s’établit une sorte de concurrence de découvertes entre ces deux jeunes et illustres rivaux. Mais quoique la publication de leurs mémoires se soit faite à des époques diverses, cependant ces époques sont si rapprochées, les méthodes sont si différentes, qu’il ne pourra venir dans l’esprit-de personne qui sache comment on travaille en analyse que ces deux jeunes géomètres, publiant à l’envi, à deux ou trois mois de distance, une série de découvertes importantes, aient rien pris l’un à l’autre. Sans doute leurs idées se sont fécondées mutuellement, mais chacun d’eux a du travailler sur son fonds propre. L’ensemble de leurs travaux forme une théorie complète des fonctions elliptiques qui a mérité d’être exposée par M. Legendre dans des suppléments à son grand traité. Les mémoires d’Abel sont aussi fort remarquables par l’élégance des méthodes et la clarté des démonstrations. Modeste et simple dans ses écrits, comme dans sa vie privée,

  1. Giornale de’ letterati d’Italia, t. 30
  2. Astronomische Nachrichten