Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
674
AND

proposa à ses collègues de renoncer à signer et appuyer des pétitions, réclamations, et demandes de toute nature ; mais il ne réussit point à détruire cet abus qui transformait les élus de la nation en solliciteurs de places pour leurs parents, leurs amis ou leurs clients, ce qui portait une grave atteinte à leur dignité et à leur indépendance. On peut dire qu’il n’est pas une députation à nos nombreuses législatures qui n’ait adressé ou appuyé des demandes aux divers pouvoirs qui se sont succédé. Lorsque le ministère des finances et l’administration du trésor furent transférés dans les vastes bâtiments de la rue de Rivoli, on ne jugea pas leur enceinte assez étendue pour contenir l’effroyable amas de ces pétitions appuyées par des législateurs, et il en fut vendu à la livre des masses pesant, avec d’autres papiers du trésor, plus de 60 milliers. ─ Le 25 février 1800, Andrieux fit un rapport sur le projet de loi présenté par les consuls, tendant à fermer la liste des émigrés. Il prit part à la discussion d’une partie du premier projet de code civil. Le 18 mars, il combattit des dispositions favorables au droit de tester, comme contraires au premier droit de la nature, qui veut l’égalité entre tous les enfants d’un même père. Le 21 juillet, il fut élu secrétaire du tribunal ; deux mois après, il fut porté à la présidence. Une voiture était attachée à cette dignité ; mais, toujours simple et sans orgueil dans sa vie publique comme dans sa vie privée, Andrieux ne monta dans cette voiture qu’une seule fois ; encore était-ce pour aller faire une visite d’étiquette aux Tuileries[1] ; et, comme s’il eût entrevu dès lors, dans les projets du premier consul, la chute prochaine de la république, il prononça, le jour anniversaire de sa fondation (1er vendémiaire an 9, 23 septembre 1800), un discours ou se trouvaient ces paroles remarquables : « C’est ici que l’amour de la patrie, l’horreur de l’oppression, le noble désintéressement, le dévouement héroïque, toutes les vertus républicaines doivent avoir leur sanctuaire et leur autel. Vous en devez à la France, tribuns, la conservation et l’exemple. » Entré de bonne heure dans une opposition qui n’avait rien de systématique, Andrieux attaqua (7 octobre) la validité de l’arrêté du conseil d’État relatif aux créances des fermiers généraux. Il soutint que le conseil ne pouvait prendre connaissance de cette affaire, qui, selon lui, regardait les tribunaux, et il conclut à ce que cet acte fût déféré, comme inconstitutionnel, au sénat conservateur : mais le sénat savait mieux plier que résister. Dans plusieurs autres circonstances, Andrieux se montra contraire aux prétentions du conseil d’État. Cette dissidence, que partageaient un assez grand nombre de ses collègues, mécontenta le chef du gouvernement, et l’effraya peut-être. Andrieux fut éliminé du tribunat avec Daunou, Ginguené, Benjamin Constant et plusieurs autres. Là se termina sa arrière politique. Bonaparte l’avait jugé par ce mot : « Il y a dans Andrieux autre chose que des comédies. » Un jour le consul se plaignait devant lui des hostilités du tribunat, qui, se montrait trop souvent opposé aux actes de son administration : « Vous êtes de la section de mécanique (à l’Institut), lui répondit le tribun, et vous savez qu’on ne s’appuie que sur ce qui résiste. » Le mot était heureux, mais il déplut. Chaque victoire de Bonaparte était un pas vers l’empire, et il y marchait avec le talent d’un joueur habile, en détruisant graduellement tout ce qui faisait obstacle et tout ce qui résistait. Il réduisit d’abord le tribunat, et enfin ce corps qui, quoique mutilé, avait servi avec répugnance son élévation à l’empire, fut supprimé par un sénatus-consulte dit organique, le 19 août 1807[2]. Andrieux a peint ainsi sa rentrée dans la vie privée : « J’ai rempli des fonctions importantes que je n’ai ni désirées, ni demandées, ni regrettées ; j’en suis sorti aussi pauvre que j’y étais entré, n’ayant pas cru qu’il me fût permis d’en faire des moyens de fortune et d’avancement. Je me suis refugié dans les lettres, heureux d’y retrouver un peu de liberté, de revenir tout entier aux études de mon enfance et de ma jeunesse, études que je n’ai jamais abandonnées, mais qui ont été l’ordinaire emploi de mes loisirs, qui m’ont procuré souvent du bonheur, et m’ont aidé à passer les mauvais jours de la vie. » Lorsqu’il avait été nommé membre du corps législatif, il disait dans une pièce de vers intitulée Sur mon élection :

Heureux, si quelque bien peut être mon ouvrage,
De mon paisible état que le sort m’ait tiré,
Et plus heureux encor lorsque j’y rentrerai !


Il y rentra sans regret, et peut-être avec joie, car « il était ne pour les jouissances du foyer domestique que[3]. » Il était père de deux filles. Il soutenait sa mère, avancée en âge, et une sœur d’un rare mérite vivait auprès de lui. Rien n’eut manqué à son bonheur s’il ne s’était pas trouvé sans fortune. Connaissant les embarras de sa position, le ministre de la police, Fouché, lui offrit une place de censeur ; mais Andrieux refusa de mutiler officiellement la pensée. Le ministre insista et lui dit : « On ne peut craindre qu’avec moi la censure dégénère en inquisition. Ce ne sera qu’une censure anodine. Je ne prétends nullement comprimer la pensée : les idées libérales se sont réfugiées dans mon ministère. — Tenez, citoyen ministre, répondit Andrieux, mon rôle est d’être pendu, et non d’être bourreau. » Un événement inattendu vint le tirer quelque temps après de cet état de gêne. Dès que l’empire se fut élevé sur les ruines de la république, un frère de Napoléon

  1. « Pens de Verdun, son vieil ami, fut plus stoïcien : il ne s’en servit pas du tout. Pendant les six premières semaines de son exercice il disait : Je ne veux pas m’habituer à aller en équipage ; et pendant les six dernières : Je dois me déshabituer d’aller en voiture. » (Notice de M. Ph. Dupin.)
  2. Andrieux ne voulant pas qu’on flattât celui qui avait renversé la république. On le vit blâmer hautement, en présence du préfet de la Seine (M. Frochot), la proposition de donner pour sujet de composition des prix dans les collèges de Paris une harangue de Charlemagne, qui devait amener l’éloge de Napoléon : « Je n’aime point dit-il, de pareils sujets ; c’est mettre au concours un prix d’adulation. ».
  3. Notice de M. Berville.