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d’Harleville et tant d’autres amis des muses qui se lassèrent bientôt de l’aride travail des rôles de procédure. Mais Andrieux montra plus de courage ou plus de résignation : « Je m’appliquai, dit-il, à l’étude des lois, et je prix goût à la jurisprudence ; » Cependant il consacrait tous ses moments de loisir à des essais poétiques. L’Almanach des Muses et le Mercure furent les premiers échos de sa naissante renommée. Il était premier clerc lorsqu’il composa son Anaximandre : c’est ainsi que Crébillon travaillait encore chez un procureur lorsqu’il fit jouer son Idoménée. En 1781, Andrieux fut reçu avocat au parlement de Paris. L’année suivante il songeait à obtenir une chaire à la faculté de droit, lorsque, sur l’invitation du président de Lamoignon, il accepta le modeste emploi de secrétaire chez le duc d’Uzès. Il raconte lui-même que, venant de perdre son père qui laissait sans fortune des enfants dont il était l’aîné, il se décida pour la place offerte, parce que le doctorat ne lui présentait qu’une perspective éloignée. Cependant il n’oubliait pas sa position et ce qu’elle avait de précaire et de subordonné. Il prit donc rang, en 1785, parmi les avocats stagiaires, sous les auspices du célèbre Hardouin ; mais la faiblesse de sa constitution physique et de sa voix lui interdisait la partie brillante de la plaidoirie, et il avait à se résigner au rôle obscur d’avocat consultant. Il plaida pourtant avec succès quelques causes, et gagna la première contre un membre assez distingué du barreau de cette époque, Picard, père de l’auteur dramatique. Dés lors, les deux avocats s’unirent par les liens d’une estime réciproque, et bientôt une amitié plus intime s’établit entre le jeune Picard et Andrieux. En 1786, il rédigea dans le fameux procès du collier et il signa le mémoire pour Mulot, docteur en théologie, alors chanoine bibliothécaire de St-Victor, qui depuis fut un des fondateurs du lycée des Arts, et publia l’Almanach des sans-culottes. (Voy. Mulot). « Les mémoires et les écritures du palais, dit Andrieux, allaient leur train, car il fallait vivre. » Cependant, comme il nous l’apprend encore lui-même, il faisait presque tous les jours des vers. Les Élourdis furent joués à la fin de 1787, et Andrieux prit rang parmi les premiers auteurs vivants de la scène française. Son stage finissait, il allait être inscrit, en 1789, sur le tableau des avocats, lorsque la révolution vint renverser toutes les institutions de la monarchie ; les parlements tombèrent, l’ordre des avocats fut supprimé, Andrieux perdit son état : mais il avait embrassé le culte de la liberté, et il lui resta toujours fidèle au milieu de ses orages, avec une constance sans emportement et sans faste, avec une fermeté de principes sans excès. Il entra bientôt, en qualité de chef de bureau, à la liquidation générale. Avec moins de probité, il eût pu, dans ce nouveau poste où les liquidations firent la fortune de tant d’autres, élever un peu la sienne. Il sortit pauvre de son bureau, ayant donné sa démission après la révolution du 31 mai. En 1796, il fut appelé par le vote électoral au tribunal de cassation. Les juges, au nombre de cinquante, étaient à cette époque renouvelés par cinquième tous les ans. Il ne tarda pas à conquérir, par ses qualités aimables et par sa grande intelligence des questions de procédure, l’estime et l’attachement de ses collègues. On le vit souvent remplir les fonctions du ministère public. Le tribunal suprême nommait alors ses présidents tous les six mois. Andrieux fut élevé à la vice-présidence d’une voix unanime ; et l’honneur de la présidence lui eût été acquis, « si, comme le dit M. Berville dans sa notice, il eût voulu se donner ou perdre seulement la voix qu’il donna à son concurrent. » Il fut bientôt élu, par le collège électoral de Paris, membre du conseil des cinq cents (an 6, 179S). « Cette mission, dit M. Philippe Dupin dans sa notice sur Andrieux, était incompatible avec ses fonctions de magistrature ; il fallut opter : il opta pour celle des deux fonctions qui n’était point salariée, mais qui lui semblait la plus haute et la plus importante pour le pays. » Certes, Andrieux était capable d’un pareil dévouement ; mais le fait cité manque d’exactitude. orsque Andrieux fut élu législateur, au mois de foréal an 6[1], il avait cessé de faire partie du tribunal de cassation ; car il est porté, dans l’Almanach national de l’an 6, à la tête des hommes de loi près du haut tribunal où il avait siégé comme magistrat. ─ On ignore assez généralement que l’auteur des Étourdis avait fait une étude profonde des lois et de la jurisprudence ; on ignore aussi qu’il était versé dans les sciences de la politique et de l’administration : c’est ainsi qu’il se montra dans la tribune législative sous le directoire et sous le consulat Membre du conseil des cinq cents, il prononça, le 21 avril 1798, un discours très-étendu sur les écoles primaires et sur le mode de nomination des instituteurs par la voie des élections. Dans une motion qui fut alors trouvée scandaleuse, il demanda que les gens de lettres et les membres de l’Institut puissent cumuler plusieurs traitements : mais sans doute il ne voulait pas que ce cumul s’élevât, comme on l’a vu depuis, jusqu’à 30 ou 40,000 fr., et qu’un savant absorbât à lui seul ce qui suffirait à l’existence de dix autres. On le vit combattre la prorogation de la loi sur la compression de la presse. Il présenta un projet, qui fut adopté, pour l’augmentation du traitement des juges, afin d’assurer leur indépendance. Il fit une motion en faveur des rentiers et des pensionnaires de l’État ; il combattit le projet sur la portion du traitement des employés saisissable par leurs créanciers ; il appuya le projet de Berlier sur la liberté de la presse ; enfin il émit une opinion modificative du projet relatif à la déportation des prêtres. C’est sur sa proposition que fut ajourné le projet de clôture et de remboursement de l’emprunt contre l’Angleterre ; il fit aussi renvoyer au directoire la pétition du nommé Trocard, qui avait donné asile a plusieurs des malheureux députés de la Gironde. — Dans l’an 8 (1800) Andrieux fut nommé membre du tribunat. Il

  1. Des scissions avaient éclaté dans les assemblées électorales. Dans l’une des sections de Paris, séante à l’Institut, une fraction nomma Andrieux. l’autre Gohier, qui fut depuis membre du directoire. Andrieux déclarait hautement que l’élection valide était celle de son compétiteur. Elle fut cependant annulée par le corps législatif, et celle d’Andrieux fut déclarée valable.