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cesserait d’être le bonhomme, comme le baptisa Molière. En restant les admirateurs des ses œuvres immortelles, nous serions obligés de dépouillé sa personne de cette auréole de respect, d’estime, de tendre attachement dont tant de générations successives l’ont entouré. Une cause est perdue, quand elle conduit à des conséquences qui froissent si violemment la conscience publique ! ─ La crédulité d’Ampère était en quelque sorte devenue proverbiale. Elle lui faisait accepter, coup sur coup, les événements les plus fantastiques dans le monde politique, les faits les plus étranges dans le monde physique. Cet aveu, au reste, ne portera aucun préjudice à la grande réputation de perspicacité du célèbre académicien. Chez lui la crédulité était le fruit de l’imagination et du génie. En entendant raconter une expérience extraordinaire, son premier sentiment était, sans doute, la surprise ; mais, bientôt après, cet esprit si pénétrant, si fécond, apercevant des possibilités là où des intelligences communes ne découvraient que le chaos, il n’avait plus ni trêve ni cesse qu’il n’eût tout rattaché, par des liens plus ou moins solides, aux principes de la science. On ne doit pas craindre d’être accusé de méconnaître le cœur humain, en ajoutant que le mérite de la difficulté vaincue a quelquefois pu influer sur la ténacité que mettait le savant académicien à défendre certaines théories. — En quittant Lyon en 1805, Ampère n’avait pas assez calculé ce qu’il laissait d’amis et de souvenirs dans cette ville. Peu de temps après son arrivée à Paris, il fut pris d’une véritable nostalgie dont la guérison n’a jamais été complète. Dans des lettres de 1813, de 1820, et même d’une date postérieure, il se repent d’avoir accepté la place qui l’attacha à l’école polytechnique ; sa détermination est qualifiée d’acte de folie insigne. Ses rêves favoris étaient des combinaisons, toujours impraticables, qui auraient pu le ramener aux lieux témoins de son enfance. L’exclamation : « Oh ! si j’étais resté à Lyon ! » termine le récit de ses chagrins de toute nature. Ceci donne la clef de bien des circonstances de la vie d’Ampère restées jusqu’à présent inexpliqués. La métaphysique vint constamment à la traverse de ses travaux de mathématiques, de physique ou de chimie ; elle ne fut momentanément vaincue qu’en 1820, 1821 et 1822, pendant les recherches électrodynamiques, et l’on a vu ce qu’il en advint. En 1813, Ampère consultait ses amis de Lyon sur le projet qu’il avait formés « de se livrer entièrement à la psychologie. » Il se croyait appelé à « poser les fondements de cette science pour tous les siècles. » Il ne répondait pas à une lettre de sir Humphry Davy : « n’ayant plus le courage de fixer ses idées sur ces ennuyeuses choses là ! ». — Au nombre des écrivains que l’histoire littéraire a distingués, à raison de leur ardeur constante et infatigable, on trouve des hommes profondément pieux, des indifférents et des incrédules. Quant à ceux qui, pendant touts leur vie, ont été troublés par des combats religieux intérieurs, ils sont très-rarement parvenus à achever des ouvrages de longue haleine. ampère appartient beaucoup plus qu’on ne le pense à cette dernière clause de savants. Madame Ampère avait, de bonne heure, excité dans l’âme de son fils les sentiments de piété qui l’animaient elle même. La lecture assidue de la Bible et des Pères de l’Église était le moyen infaillible dont le jeune géomètre faisait usage, lorsque sa foi devenait chancelante. Plus tard, le talisman perdit quelque peu de sa première vertu : des pièces manuscrites nous l’ont appris, car, de son vivant, Ampère ne laissa rien percer des doutes cruels qui, de temps à autre, bouleversaient son esprit. En parcourant les lettres écrites à l’ami qu’il avait pris pour confident de tant de combats intérieurs, le lecteur se surprend à croire qu’il a sous les yeux le récit des tortures poignantes qu’éprouva l’auteur des Provinciales. « Si c’était vrai cependant ! écrivait-il le 2 juin 1815… Malheureux que je suis !… d’anciennes idées ne me dominent pas assez pour me faire croire ; mais elles ont encore la puissance de me frapper de terreur ! Si je les avais conservées intactes, je ne me serais pas précipité dans un gouffre ! » Dans ses moments de ferveur religieuse, il n’y avait pas de sacrifice littéraire qu’Ampère ne trouvait léger. À l’école centrale de Bourg, le professeur composa un traité sur l’avenir de la chimie. De hardies prédictions n’avaient alors rien dont sa conscience, s’effarouchât. Déjà même l’ouvrage était imprimé, lorsque plusieurs circonstances firent passer subitement Ampère a un état d’exaltation mystique extraordinaire. Dès ce moment, il se crut coupable au premier chef, pour avoir essayé de dévoiler prématurément une multitude de secrets que les siècles futurs portaient, et portent encore dans leurs flancs ; il ne vit plus dans son œuvre que le fruit d’une suggestion satanique et la jeta au feu. Cette perte, l’illustre académicien l’a, depuis, vivement regrettée, d’accord en cela avec tous ceux qui s’intéressent aux progrès des sciences et à la gloire du pays. — Le doute religieux n’est pas le seul qui ait troublé la vie d’Ampère. Le doute, quel qu’en fût l’objet, bouleversait son esprit au même degré. « Le doute, écrivait-il à un de ses amis de Lyon, est le plus grand des tourments que l’homme endure sur la terre ! » Voici, entre mille, une des questions assurément très-douteuses, pour ne pas dire d’une solution impossible, sur lesquelles la pensée d’Ampère s’était exercée avec le plus d’emportement. L’étude des animaux fossiles montre que notre globe a été le théâtre de plusieurs créations successives qui, de perfectionnement en perfectionnement, se sont élevées jusqu’à l’homme. La terre n’offrait d’abord rien de vivant, rien d’organisé ; puis se présentèrent quelques végétaux ; puis les animaux invertébrés, les vers, les mollusques ; plus tard, des poissons, des reptiles marins ; plus tard encore des oiseaux ; enfin les mammifères. « Vois-tu, écrivait encore Ampère à un de ses amis de Lyon, vois-tu les paléothériums, les anaplothériums remplacés par des hommes ? J’espère, moi, qu’à la suite d’un nouveau cataclysme, les hommes, à leur tour, seront remplacés par des créatures, plus parfaites, plus nobles, plus sincèrement dévouées à la vérité. Je donnerais la moitié