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tolérant, à l’abri des passions haineuses que l’amour propre et les idées préconçues amènent ordinairement à leur suite. Dans des notes manuscrites du médecin (M. Bredin) avec lequel Ampère étudiait la doctrine métaphysique de l’absolu, on lit textuellement cette phrase « Des discussions très-animées s’élevaient journellement entre nous : elles furent l’origine de la sainte et indissoluble amitié qui nous a constamment unis. » Un auteur de romans croirait aujourd’hui blesser la vraisemblance, s’il plaçait l’amitié au nombre des conséquences possibles d’une vive discussion. Il ne se permettrait de pareilles hardiesses qu’en transportant ses personnages dans le pays de la Fable. ─ En dehors de la métaphysique, les travaux d’Ampère se composent de recherches d’analyse mathématique transcendante, d’applications de cette même analyse aux plus importantes questions de la mécanique rationnelle, de l’optique, de la physique des gaz, et même de la chimie moléculaire. Les classifications chimiques proposées par le savant académicien pourraient, même aujourd’hui, être publiées avec fruit ; elles prouveraient, chose étrange, que, pendant une des dernières révolutions de la science, Ampère le géomètre, Ampère, fut toujours dans le vrai, même quand ses opinions étaient opposées à celles de presque tous les chimistes du monde. ─ Dans les nombreux travaux dont nous aurions à parler, si le cadre d’une biographie le permettait, il en est un qui prime tous les autres et constitue à lui seul une belle science. Son nom : l’électro-dynamisme, est à jamais inséparable de celui d’Ampère. aussi au lieu d’arrêter les pensées du lecteur sur vingt sujet divers, nous nous bornerons à les concentrer sur la plus vaste, la plus féconde conception de l’illustre géomètre. ─ Au milieu des progrès rapides, admirables que faisaient tant de sciences anciennes et modernes, celle qui traite du magnétisme restait à peu près stationnaire. On sait, depuis six siècles au moins, que les barres de fer ou d’acier, convenablement préparées, convenablement supportées, se dirigent vers le nord. Cette curieuse propriété nous a donné les deux Amériques, la Nouvelle-Hollande, de nombreux archipels et les centaines d’îles isolées de l’Océanie, etc. ; c’est à elle que, dans les temps sombres ou de brouillards, recourent, pour se diriger, les capitaines des mille et mille navires dont toutes les mers du monde sont sillonnées de jour et de nuit. Aucune vérité de physique n’a eu des conséquences aussi colossales. Cependant jusqu’ici on n’avait rien découvert touchant la nature de la modification infime qu’éprouve une lame d’acier neutre, pendant les opérations mystérieuses, on pourrait presque dire cabalistiques, à l’aide desquelles s’opère se transformation en aimant. L’ensemble des phénomènes du magnétisme, les affaiblissements, les destructions, les renversements de polarité des aiguilles de boussole, occasionnés à bord de quelques navires par de violents coups de foudre, semblaient établir des liaisons intimes entre le magnétisme et l’électricité. Cependant les travaux ad hoc entrepris à la demande de plusieurs Académies, pour développer et fortifier cette analogie, n’avaient pas conduit à des résultats décisifs. On lit même, circonstance singulière, dans un programme d’Ampère, imprimé à la date de 1808 : « Le professeur démontrera que les phénomènes électriques et magnétique sont dues à deux fluides différents et qui agissent indépendamment l’un de l’autre ! » Les choses en étaient à ce point, lorsqu’en 1819 le physicien danois Œrsted annonça au monde savant un fait, immense par lui-même, et surtout par les conséquences qu’on en a déduites ; un fait dont le souvenir se transmettra d’âge en âge, tant que les sciences seront en honneur parmi les hommes. Ce fait, actuellement connu de tout le monde, consiste dans l’action rotative qu’un fil métallique quelconque exerce sur l’aiguille aimantée placée dans son voisinage, quand un courant électrique le traverse. La découverte d’Œrsted arriva à Paris par la Suisse. Le lundi 11 septembre 1820, un académicien qui revenait de Genève répéta devant l’Académie les expériences du savant Danois. Sept jours après, le 18 septembre, Ampère présentait déjà un fait beaucoup plus général que celui du physicien de Copenhague. Dans un si court intervalle de temps il avait deviné que deux fils conjonctifs (c’est ainsi qu’on appelle des fils que l’électricité parcourt) agiraient l’un sur l’autre ; il avait imaginé des dispositions extrêmement ingénieuses pour rendre ces fils mobiles, sans que les extrémités de chacun d’eux eussent jamais à se détacher des pôles respectifs de leurs piles voltaïques ; il avait réalisé, transformé ces conceptions en instruments susceptibles de fonctionner ; il avait enfin soumis son idée capitale à une expérience décisive. Le vaste champ de la physique n’offrit peut-être jamais une si belle découverte conçue, mise hors de doute, et complétée avec tant de rapidité. Cette brillante découverte d’Ampère, en voici l’énoncé exact : deux fils conjonctifs parallèles s’attirent quand l’électricité les parcourt dans le même sens ; ils se repoussent, au contraire, si les courants électriques s’y meuvent en sens opposés. Les fils conjonctifs de deux piles semblablement placées, de deux piles dont les pôles cuivre et zinc se correspondent respectivement, s’attirent donc toujours. Il y a, de même, toujours répulsion entre les fils conjonctifs de deux piles, quand le pôle zinc de l’une est en regard du pôle cuivre de l’autre. Ces singulières attractions et répulsions n’exigent pas que les fils sur lesquels on opère appartiennent à deux piles différentes. En pliant et repliant un seul fil conjonctif, on peut faire en sorte que deux de ses portions en regard soient traversées par le courant électrique, ou dans le même sens, ou dans des sens opposés. Les phénomènes sont alors absolument identiques à ceux qui résultent de l’action des courants provenant de deux sources distinctes. Dès leur naissance, les phénomènes d’Œrsted avaient été justement appelés électro-magnétiques. Ceux d’Ampère, puisque l’aimant n’y joue aucun rôle direct, durent prendre le nom plus général de phénomènes électro-dynamiques. ─ Les expériences du savant français n’échappèrent pas aux critiques que l’envie réserve à tout ce