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nationale, sont prêts à remettre aux commissaires du département environ 270 volumes et cartons qui restent encore à détruire. C’est au Directoire à fixer le jour qu’il lui conviendra de choisir pour le brûlement, dont le public doit être averti par des affiches, etc. Signé Ameilhon. » Le 14 février, il écrivait au même procureur général : « Citoyen,… je vous envoie l’état ci-joint des divers articles qui se trouvent encore dans le dépôt des ci-devant ordres du ci-devant roi, et qui doivent faire la matière d’un dernier brûlement… Je suis avec les sentiments de la fraternité républicaine, etc. Signé Ameilhon. » Suit la Note des divers articles qui restent à brûler : « 128 volumes reliés et 54 boites contenant des pièces et titres et pour le ci-devant ordre du St-Esprit et autres du et ci-devant roi ; 2 volumes de blasons pour lesdits ordres ; 34 volumes de papiers et titres originaux qui ont servi à composer l’Armorial général de France ; 166 volumes de la collection dite Collection de le Laboureur ; 2 volumes de lettres de noblesse et de grâce ; 15 volumes contenant des preuves pour l’ordre de St-Lazare et pour entrer à l’école militaire : plus une boite remplie de preuves pour être admis dans les ci-devant chapitres nobles. » Il résulte de ces pièces originales qu’Ameilhon concourut et présida au brûlement de 650 volumes, boites ou cartons qu’il eût fallu conserver dans la bibliothèque nationale où ils avaient été déposés. Cet acte de vandalisme, dirigé par un historien, est pour l’histoire une perte irréparable. La république ne gagna rien à cette destruction, qui n’empêcha pas, sous le consulat et sous l’empire, la création d’une noblesse nouvelle et le retour de l’ancienne sous la restauration. En sa qualité de membre de la commission dite des monuments, Ameilhon se mit à explorer minutieusement dans Paris, pour les dénoncer à la commune, les sculptures ou les peintures qui présentaient sur l’extérieur des édifices les attributs proscrits, et qui avaient échappe au zèle acerbe des premiers explorateurs. Voici deux notes de sa main. « Attributs et autres traces de royauté à supprimer : sous le vestibule de l’une des pertes de St-Germain-l’Auxerrois, une pierre noire sur laquelle est écrite cette inscription : Sous le règne de Henri IV ce lieu a été bâti, etc. ; sur l’église de, Ste·Valère, au haut de la rue de Grenelle, faubourg St-Germain, des croix fleurdelisées. Le huitième jour de la 3e décade de l’an 2 de la république. Signé {Ameilhon. » — « Ol faut enlever au portail de l’église des ci-devant religieuses dites de Ste-Élisabeth, rue du Temple, deux fleurs de lis. Le 5 du second mois de l’an 2 de la république. Signé Ameilhon. » C’était là un singulier travail d’académicien. Ameilhon allait jusqu’à vouloir qu’on effaçât sur une pierre noire le souvenir du règne de Henri IV. Ce patriotisme délirant suffirait pour peindre une époque. Les maçons et les couvreurs étaient mis sur le-champ en réquisition pour enlever les emblèmes dénoncés[1]. On sait que les chefs-d’œuvre de l’art eux-mêmes n’étaient pas à l’abri de la destruction. Le 1er mars 1793, M. Garat, alors ministre de l’intérieur, écrivait à Paré, ministre des contributions publiques : « Quatre anges d’argent, mon cher collègue, chefs-d’œuvre de Sarrazin et de Coustou, et plus remarquables par le travail que par la matière, ont été portés de l’église des grands jésuites à la monnaie. » Et le ministre demandait que ces objets précieux fussent exceptés de la fonte, réunis au Musée des monuments français, rue des Petits-Augustins, et conservés pour la gloire des arts. On lit sur le haut de cette lettre la note suivante : « Le ministre (Paré) en a fait suspendre la réponse, attendu que le besoin doit passer avant la curiosité ; » et cette note fait assez connaître ce que sont devenus les quatre chefs-d’œuvre de Sarrazin et de Coustou. Cependant, malgré ses opinions exaltées, Ameilhon protégea quelques monuments, et rendit des services aux sciences et aux lettres. Il avait reçu la mission de réunir en de vastes dépôts toutes les bibliothèques des maisons religieuses supprimées. bans ces temps de vandalisme et de confusion, le ministre de la guerre, Pache, n’avait donné que trois heures pour commencer et achever l’évacuation de la grande bibliothèque de St-Victor ; ce délai passé, tous les livres devaient être jetés par les fenêtres. Ameilhon, qui était chargé de cette expédition, demanda et obtint qu’il lui fût accordé trois jours ; il mit en réquisition les chariots nécessaires, et la bibliothèque fut transférée, à la hâte, dans un hôpital voisin (la Pitié). Ameilhon transforma plusieurs églises de Paris, entre autres celle des jésuites, de St-Antoine, en immenses dépôts où il réunit plus de 800,000 volumes, en y faisant porter, avec les bibliothèques des couvents, celles qu’on avait confisquées sur les victimes de la révolution. Il eut le mérite de sauver ainsi la bibliothèque, de Malesherbes, de Lavoisier et de plusieurs autres, qui furent rendues à leurs héritiers dans des temps plus heureux. Il consacra six ou sept années de sa vie à la direction, au triage et au classement de tous ces livres amoncelés dans les dépôts confiés à sa garde. — Des pétitionnaires avaient demandé à la barre de la convention le renversement de l’arc de triomphe connu sous le nom de Porte St-Denis. Ameilhon, membre de la commission temporaire des arts, se rendit, en toute hâte, au comité d’instruction publique chargé de faire un rapport sur cette pétition inouïe, et fit adopter qu’on se bornerait à enlever l’écusson royal et l’inscription Ludovico magno, que plus tard Napoléon eut le bon esprit de faire rétablir. Il convient de dire aussi que, tout en poursuivant la destruction des insignes de la royauté,

  1. Voici, avec son orthographe, une de ces réquisitions dont l’auteur de cet article garde l’original : « Municipalité de paris, inspection des bâtiments de la république française, une et indivisible, l’an 2e, 29 messidor. Ordre n0 3357. Citoyen, je te prie de faire supprimer et enlever sur le champ les objets cy après savoir une croix sur la cy devant église Magloire rue Martin une autre sur celle de l’église cy devant Les rue Denis et une troisième sur le clocher de l’hospice d’humanité et prendre à cette effet toutes les précaustions nécessaires. Signé Lapalme » L’adresse est : « Au citoyen Panel, couvreur, quay de la Liberté, îlle de la Fraternité (St-Louis) ou chez la citoyenne Dionis enclos Victor, rue Victor. »