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ALI

les troupes de la compagnie arrivassent à son secours. Cependant un autre Européen fut tué par ces furieux. Ali se sauva sur le territoire du rajah de Berar, chef puissant et indépendant, qui ne le rendit qu’à la condition expresse que sa vie serait épargnée. Le gouvernement anglais se crut obligé d’accéder à cette condition, et, en conséquence, Ali fut livré, conduit à Calcutta, et enfermé au fort William, dans une cage de fer, où il eut en effet la vie sauve, puisqu’il ne mourut qu’en mai 1817, après un emprisonnement de plus de dix-sept ans ! Il en avait alors 36. Z.


ALI-PACHA (Tépéleninli), vizir de Janina, surnommé Arslan ou le Lion, a fixé dans ces dernières temps l’attention de l’Europe. Soit qu’on le considère dans son élévation ou dans sa chute, il doit figurer dans l’histoire comme un personnage du premier ordre, et en même temps comme un des tyrans les plus cruels qui aient tourmente l’espèce humaine. Ou saisirait mal les traits de son caractère si on le jugeait indépendamment du pays qui l’a vu naître, des circonstances ou il a vécu, du gouvernement auquel il a du son élévation, et des mœurs grossières et féroces des peuplades qu’il était appelé à commander. Il naquit vers l’an 1741 ; à Tépéléni ville moderne, située il vingt lieues au nord de Janina. Sa famille, que l’on distinguait par le surnom d’Hissas, faisait partie de la tribu des Teskides, qui se disent anciens musulmans. Il se donnait une origine asiatique, assurant que ses ancêtres avaient passé de la Natolie en Épire avec les hordes de Bajazet. Quoi qu’il en soit, ils embrassèrent la profession lucrative de clephtes, sorte de brigands avoués et publics, qui les rendit bientôt assez puissants pour envahir le domaine de Tépéléni. C’était une espèce de fief placé originairement sous la suzeraineté du pacha de Berat, et qui fut transmis à l’aïeul d’Ali, nommé Mokhtar chef de bande mort en 1716, au siége de Corfou, ou il commandait, en sa qualité de pacha à deux queues, une des divisions de l’armée turque. Le plus jeune de ses fils, Veli-Bey, devenu premier aga de Tépéléni, sa ville natale, épousa la fille du bey de Konitza, et s’allia par cette union aux premières familles du pays. Il n’en fut pas moins frustré d’une partie de ses domaines par suite de ses démêlés soit avec ses frères, soit avec les beys et les agas voisins. À sa mort, Ali son fils, qui fait le sujet de cet article, et qui avait à peine treize ans, eût été entièrement dépouillé, si sa mère Khameo, douée de beaucoup de capacité et d’une grande force d’âme, n’eût elle-même administré son héritage. Tout entière au bonheur de son fils qu’elle chérissait tendrement, cette femme n’eut plus d’autre pensée : aussi, quelles que fussent la turbulence et la vivacité du jeune Ali, il se montra toujours envers sa mère fort reconnaissant et fort soumis. « Je dois tout à ma mère, a-t-il dit plus tard, car mon père en mourant ne m’avait laissé qu’un trou et quelques champs. Mon imagination, enflammée par les conseils de celle qui m’a donné deux fois la vie, puisqu’elle m’a fait homme et vizir, me révéla le secret de ma destinée. Dès lors je ne rêvai plus que puissance, trésors, palais, enfin ce que le temps a réalisé et me promet encore ; car le point où je suis arrivé n’est pas le terme de mes espérances… » Comme l’Albanie, qui est l’ancienne Épire, pays âpre et rude, était divisée par des associations anarchiques, où de grands feudataires, balançaient l’autorité des pachas envoyés par la Porte, le jeune Ali, sous la tutelle de sa mère, qui s’élevait au-dessus des faiblesses de son sexe, s’accoutuma de bonne heure à tous les exercices d’un palikan ou guerrier albanais, faisant des courses et du butin dans les terres de ; ennemis de sa famille. Il eut bientôt à soutenir tous les efforts des habitants de Kardiki, ses ennemis les plus acharnés, qui le dépouillèrent et le chassèrent du toit paternel. Sa mère et sa sœur Khainitza, conduites prisonnières à Kardiki, y subirent les plus indignes traitements. Ainsi élevé à l’école du malheur, Ali, errant et fugitif, était réduit aux dernières extrémités, lorsque tout à coup la fortune lui sourit : il découvrit un trésor dans une vieille masure, et pour lui tout changea de face. Aussitôt il leva 2.000 hommes et rentra triomphant à Tépéleni. Sa mère et sa sœur, délivrées par la fuite des outrages des Kardikiotes, excitèrent la soif de vengeance dans le sein d’Ali, déjà trop porté par sa nature à chercher dans le sang la réparation d’une offense. Il avait alors vingt-cinq ans, et la fortune ouvrait un brillant avenir à son active ambition. Remarquable par sa chevelure blonde, par ses yeux bleus remplis de feu et d’esprit, et aussi par son éloquence naturelle, il prit un rang distingué parmi les beys du pays, et mérita le cœur et la main de la fille du sandjak de Delvino. Levant de nouvelles troupes, il tenta de recouvrer les armes à la main tous les domaines de son père ; mais il n’avait pas encore subi toutes les épreuves de l’adversité. Les beys ses ennemis taillèrent en pièces sa petite troupe. Toutefois la fermeté d’Ali déconcerta tellement leurs projets qu’il finit par obtenir paix et sécurité dans ses possessions. Ainsi réconcilié avec ses voisins, il se rend maître absolu de sa ville natale, grossit le nombre de ses adhérents, s’érige en chef de bande, et pousse à la fois ses excursions dans l’Épire, la Macédoine et la Thessalie, échappant à tous les dangers à force d’intelligence et d’adresse. Deux fois on le fit prisonnier, et deux fois son étoile l’emporta. Déjà fameux, mais sans titre ni emploi public, Ali projeta de s’élever sur les ruine de Sélim-Bey, sandjak de Delvino, alors en disgrâce auprès du sultan ; il obtint sa confiance sous le masque de l’amitié, l’épia, le tua en présence même de ses gardes, et tenant à la main un firman déployé : « J’ai tué le traître, cria-t-il d’une voix menaçante : je l’ai tué par ordre de notre glorieux padischah : voici son commandement impérial ! » En récompense il fut nommé lieutenant du pacha de Roumélie, emploi secondaire qui satisfait peu son ambition, mais dans l’exercice duquel il sut augmenter son crédit et ses richesses. Sa réputation militaire était dès lors si bien établie qu’en 1787 on lui confia un commandement important, sous les ordres du grand vizir Youssouf, dans la guerre entre la Turquie et les deux cours impériales.