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défense des principes monarchiques[1]. On sait quel a toujours été le vœu des russes pour leurs coreligionnaires de la Grèce ; ce sentiment leur fit considérer comme autant de signes de la colère du ciel les événement si funestes qui marquèrent le cours de l’année 1824 : d’abord une maladie grave essuyée par l’empereur, puis une inondation qui exerça de terribles ravages dans Pétersbourg[2]. Alexandre arrivait alors d’un voyage au pays des Kirguises. Son zèle et son activité ne connurent point de bornes : pendant plusieurs jours il parcourut à pied les rues de sa capitale, veillant aux travaux des ouvriers, s’informant de toutes les infortunes ; répandant partout des secours et des consolations. En 1823, par mesure d’économie, il avait opéré dans son armée une grande réduction ; mais cette économie devint insuffisante, et d’ailleurs il ne convenait plus à sa politique de réduire le nombre de ses troupes. Pour obvier à ce double inconvénient, il apporta tous ses soins au succès de la colonisation militaire, système dont la première application remonte à 1819, et qui, s’il atteint tous les développements dont il est susceptible, doit donner à la puissance russe une force véritablement effrayante pour les autres nations. En 1825, il accorda un musée et un lazaret à cette ville d’Odessa qu’il avait constituée en port franc, et dont la prospérité lui était si chère. Au commencement de l’automne de cette même année, il se rendit à Taganrock, ou impératrice Elisabeth était venue depuis quelque temps pour respirer un air plus doux. Après un mois de séjour, Alexandre quitta cette ville pour parcourir la Crimée. Revenu à Taganrock le 5-17 novembre 1825, il y avait rapporté le germe de la maladie qui devait lui donner la mort, et dont il méprisa les symptômes. Aussi la fièvre s’accrut-elle au point qu’on fut obligé, le 15-27, de lui faire connaître l’imminence du danger. Il reçut alors les derniers secours de la religion, et consentit, mais trop tard, à écouter ses médecins : il ne pouvait presque plus parler. Ayant perdu connaissance le 18-30 novembre, il mourut le lendemain à dix heures du matin, entre les bras de l’impératrice Elisabeth. On n’a guère publié en Russie que ces détails sur une mort si inattendue et si prématurée. Beaucoup de personnes y ajouteront peu de foi, et des soupçons d’empoisonnement ont été exprimés dans plusieurs écrits, mais sans aucune preuve. Quoi qu’il en soi, la nouvelle de la mort de ce monarque fut accueillie dans tout l’empire avec les signes d’une vive et sincère douleur ; et cette douleur trouva de la sympathie dans toutes les contrées. On peut dire aujourd’hui, avec vérité et sans exagération, qu’Alexandre avait partout des amis et des admirateurs. Tant qu’il parut suivre les leçons du général Laharpe, et favoriser le système révolutionnaire, les partisans de ce système lui prodiguèrent de grands éloges ; mais lorsque, effrayé des symptômes de révolution et de désordres qui se manifestaient dans tous les pays, et menaçaient tous les trônes, il parut être revenu de ses premières idées ; lorsqu’il rétablit la censure, lorsqu’il abolit dans ses États les associations secrètes et les loges de francs-maçons, lorsque enfin sa politique parut se conformer sous ces divers rapports à celle du cabinet de Vienne, les mêmes hommes qui l’avaient tant loué et tant encouragé dans une périlleuse voie devinrent ses détracteurs et ses ennemis les plus-acharnés ; des complots se formèrent contre lui, même, parmi ses sujets, qu’il avait gouvernés, qu’il gouvernait encore avec tant de bienveillance. Il est aujourd’hui certain que, s’il ne périt pas victime de ces trames odieuses, et qui ne tendaient pas à moins qu’à l’immoler, lui et toute sa famille, au milieu de sa capitale, le chagrin qu’il en éprouva, lorsqu’il ne lui fut plus possible d’en douter, abrégea ses jours. « Que leur ai-je donc fait ? » disait-il dans ses derniers moments ; et il mourut dans la certitude que ceux-là mêmes qu’il avait comblés de biens pendant toute sa vie s’étaient dévoués pour l’assassiner ! ─ Dans une brochure consacrée à sa mémoire. M. Ouwaroff, président de l’Académie de Pétersbourg, a présentés ce prince sous des traits assez ressemblants, bien qu’ils soient un peu flattés. « Habile à manier les hommes, dit cet académicien, Alexandre possédait une élocution facile… un tact délicat des convenances. Affable sans familiarité, imposant sans affectation, doux sans faiblesse, rien ne résistait à la séduction de ses manières. Il exerçait un empire absolu sur les esprits, et portait dans les affaires ce coup d’œil exercé qui, au premier aspect, détermina les limites… cette présence d’esprit qui en démêle avec promptitude le véritable sens…[3] » Dans les derniers temps de sa vie, Napoléon disait d’Alexandre : « Si je meurs, voilà mon héritier en Europe, » Si ce prince n’a pas justifie cette prédiction dans toute son étendue, c’est peut-être à la modération de son caractère que l’Europe en est redevable ; et c’est ce qu’a formellement reconnu le marquis de Londonderry dans l’ouvrage que nous avons cité. Cependant on a vu qu’il ne fut pas exempt d’ambition : les invasions de la Finlande, de la Perse, celles des provinces turques et polonaises, enfin les conventions de Tilsitt. et les exigences de Paris et de Vienne, tout cela prouve aimez que ses vues ne furent pas, toujours désintéressés. Mais, sous ce rapport, on peut dire qu’il ne fut que le continuateur de ses ancêtres. L’esprit de conquêtes était dans sa famille comme

  1. Après l’issue des événements d’Espagne et de Portugal, en 1824, l’empereur de Russie envoya les insignes de ses ordres au roi de Portugal, à l’infant don Miguel, au duc d’Angoulême, au vicomte de Châteaubriand, au duc de Matthieu de Motmorency, au général Pozzi di Borgo et au comte de Bulgari, chargé d’affaires à Madrid.
  2. Les eaux du golfe, refoulées dans la Newa par un ouragan qui venait de dévaster la mer du Nord et la Baltique, entraînèrent en quelques minutes tous les ponts de bois, submergèrent les quais et les quartiers même les plus élevés de la ville. Les campagnes des environs furent couvertes d’eau, la forteresse de Cronstadt détruite et sa lourde artillerie entrainée au loin dans la mer. Sorties de leur lit à huit heures du matin, les vagues n’y rentrèrent qu’à trois heures du soir.
  3. À la mémoire de l’empereur Alexandre, St-Pétersbourg, 1826, in-4o de 16 pages.