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qu’ils en firent en ordonnant la répression militaire des révoltes du Piémont et de Naples. Le czar se trouvait encore à Laybach lorsque la nouvelle de l’insurrection de la Grèce y parvint, avec la lettre par laquelle Ypsilanti lui demandait sa protection pour les insurgés de Moldavie. Le moment n’était pas opportun pour une pareille requête ; l’autocrate y fit réponse par un rescrit, dans lequel, « ne pouvant considérer l’entreprise d’Ypsilanti que comme l’effet de l’exaltation qui caractérise l’époque actuelle, ainsi que de l’inexpérience et de la légèreté de ce jeune homme, » il donnait à ses ministres l’ordre de le désapprouver formellement. En conséquence, il fut prescrit au comte Wittgenstein, commandant les troupes russes sur le Pruth, d’observer la neutralité la plus stricte. Ces démonstrations, jointes aux démarches pacifiques de M. de Strogonoff, ambassadeur de Russie auprès de la Porte ottomane, ne calmèrent pas les inquiétudes du divan sur les relations secrètes qu’il soupçonnait entre les Grecs et la Russie. Il donna l’ordre de visiter les bâtiments russes qui passeraient les Dardanelles ; se plaignit du refuge accordé par l’empereur à quelques fugitifs, et de la sépulture honorable donnée au restes du patriarche grec de Constantinople, mis à mort par le sultan ; délibéra si M. de Strogonoff ne serait pas enfermé aux Sept-Tours ; enfin une rupture entre les deux cabinets ne fut prévenue que par l’intervention de l’Angleterre. Alexandre témoigna, par une note aux grandes puissances, de son désir de maintenir la paix, et fit signer son ultimatum à la Porte. Il demandait la délivrance et l’indemnisation des Grecs non coupables, la reconstruction des églises, l’évacuation de la Moldavie et de la Valachie, et le rappel des hospodars destitués. Le sultan répondit nettement qu’il ne consentirait à rien qu’au préalable la rébellion ne fût étouffée ; et cependant l’empereur de Russie ne tira point l’épée. Les choses demeureront dans cet état d’incertitude jusqu’au congrès de Vérone (octobre 1822). Alexandre donna dans cette réunion de nouvelles preuves de son attachement au traité de la sainte alliance ; et il se montra fort empressé d’appliquer à l’Espagne, où venait d’éclater l’insurrection, le principe de l’intervention armée. Le système politique de ce prince à cette époque est bien exprimé dans les paroles suivantes, qu’il adressa à M. de Chateaubriand et que nous transcrivons telles qu’elles ont été rapportées par celui-ci dans un de ses discours à la chambre des pairs : « Je suis bien aise que vous soyez venu à Vérone, afin de rendre témoignage à la vérité. Auriez-vous cru, comme le disent nos ennemis, que l’alliance n’est qu’un mot qui ne sert qu’à couvrir des ambitions ? Cela eût peut-être été vrai dans l’ancien état des choses ; mais il s’agit bien aujourd’hui de quelques intérêts particuliers, quand le monde civilisé est en péril ! Il ne peut plus y avoir de politique anglaise, française, ruse, prussienne, autrichienne, Il n’y a plus qu’une politique générale, qui doit, pour le salut de tous, être admise en commun par les peuples et les rois. C’est à moi de montrer le premier convaincu des principes sur lesquels j’ai fondé l’alliance. Une occasion s’est présentée, le soulèvement de la Grèce : rien, sans doute, ne paraissait être plus dans mes intérêts, dans ceux de mes peuples, dans l’opinion de mon pays, qu’une guerre religieuse contre la Turquie ; mais j’ai cru remarquer dans les troubles du Péloponnèse le signe révolutionnaire, dès lors je me suis abstenu. Que n’a-t-on point fait pour rompre l’alliance ? On a cherché tour à tour à me donner des préventions ou à blesser mon amour-propre ; on m’a outrage ouvertement : on me connaissait bien mal, si l’on a cru que mes principes ne tenaient qu’à des vanités, ou pouvaient céder à des ressentiments. Non, je ne me séparerai jamais des monarques auxquels je me suis uni. Il doit être permis aux rois d’avoir des alliances publiques pour se défendre contre les sociétés secrètes. Qu’est-ce qui pourrait me tenter ? Qu’ai-je besoin d’accroitre mon empire ? la Providence n’a pas mis à mes ordres 800,000 soldats pour satisfaire mon ambition, mais pour protéger : la religion, la morale et la justice, et pour faire régner ces principes d’ordre sur lesquels repose la société humaine… » Malgré de si belles paroles, ce fut dans ce même temps que l’empereur de Russie, n’ayant plus d’ambassadeur à Constantinople, renouvela, par celui d’Angleterre, les demandes précédemment faites. La Porte fit droit à quelques-unes ; mais elle demanda de son côté la restitution des forteresses d’Asie retenues contre les stipulations de Bucharest, et l’envoi d’un nouveau ministre à Constantinople. Ces prétentions étaient légitimes, on ne peut le nier ; cependant le cabinet russe les éluda. Outré de colère, le sultan fit arrêter dans le port de sa capitale quatre bâtiments sons pavillon russe ; et cette violence fit craindre une rupture, qui cependant n’eut pas lieu. Alexandre désirait alors vivement la paix, et il en avait besoin pour mettre la dernière main à ses projets d’utilité publique. En 1821, il ordonna lu construction d’un observatoire astronomique à Abo, réduisit les dépenses de sa cour, accorda divers privilèges aux négociants qui s’établiraient dans la Géorgie et les provinces de Caucase ; enfin il interdit aux étrangers le commerce des iles Aleutiennes. Il détermina d’une manière fixe les limites de l’immense territoire désigné jusqu’alors sous le nom d’Amérique russe ; et dans ces limites fut comprise une grande partie des découvertes de Cook, de Vancouver, etc., jusqu’à la Nouvelle-Californie. L’année suivante il ordonna la dissolution de toutes les sociétés secrètes dans l’empire de Russie, et surtout dans le royaume de Pologne ; tous les employés de l’État furent tenus de déclarer sous serment s’ils appartenaient à quelqu’une de ces sociétés, et de jurer qu’ils rompraient tous les liens de ce genre qu’ils pouvaient avoir. Il prit des mesures non moins sévères contre les écrits révolutionnaires, et continua à tenir suspendues les délibérations de la diète polonaise. Dans le même temps il adressa des témoignages de satisfaction à différents personnages qui avaient consacré leur épée ou leur plume à la