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des terres. Portants sur les finances une attention particulière, il affecta, par un ukase du 16 avril 1817, au paiement des dettes contractées en 1812 et 1813, 30 millions de roubles pris chaque année sur le trésor impérial ; et il voulut qu’une somme pareille, fournie par la couronne, fût appliquée tous les ans au même objet. Il chercha ensuite à fonder le crédit public par une banque impériale du commerce, à laquelle il accorda, pour la première mise de fonds, 30 millions de roubles, et par la création d’un conseil du crédit public qui, par sa composition, offrait quelque image du système représentatif. Ces différentes mesures assurèrent le succès de plusieurs emprunts. — Comme son rival Napoléon, l’empereur Alexandre se montra toujours impatient du repos, et l’on peut dire sans exagération qu’il a passé la moitié de sa vie en voyages et en courses militaires. Dés le commencement de l’année 1818 il se rendit à Varsovie, et il y fit, par un discours français, l’ouverture de la diète, organisée suivant la constitution qu’il avait donnée en 1815. Après avoir vanté les avantages du régime constitutionnel, dont il espérait, avec l’aide de Dieu, étendre l’influence salutaire sur toutes les contrées confiées à ses soins, il adressa aux députés ces paroles mémorables : « Prouvez a vos contemporains que les institutions libérales, dont on prétend confondre les principes avec les doctrines désastreuses qui ont menacé de nos jours le système social d’une catastrophe épouvantable, ne sont point un prestige dangereux ; mais que, mises en pratique avec bonne foi, et dirigées par des intentions pures vers un but conservateur et utile à l’humanité, elles s’allient parfaitement avec l’ordre, et qu’elles assurent la prospérité des nations. » Alexandre quitta bientôt la Pologne pour visiter les provinces méridionales de son empire, la Tauride, la Nouvelle-Russie, la Bessarabie, les Cosaques du Don, et il signala ce voyage de 1,500 lieues par un grand nombre d’actes de munificence et de fondations utiles. Revenu dans sa capitale, il y ordonna l’érection de plusieurs monuments consacrés à des hommes illustres de la Russie, et contribua, pour une somme de 2,000 francs, à celui qu’on élevait en France à la mémoire de Malesherbes. Vers la fin de cette même année (1818), il se rendit à Aix-la-Chapelle, où les souverains alliés, réunis en congrès, devaient fixer définitivement l’indemnité exigée de la France. Le premier il éleva la voix en faveur de notre patrie, et c’est à son intervention qu’elle dut une forte réduction sur la somme immense au paiement de laquelle l’avidité des vainqueurs l’avait d’abord condamnée. Alexandre rédigea lui-même sur cette question un mémoire fort étendu, qui fut communiqué aux grandes puissances, et qui eût probablement entraîné la libération tout entière si le ministère français eût plus habilement profité d’aussi bonnes intentions[1]. Aussitôt après le congrès d’Aix-la-Chapelle, Alexandre retourna dans sa capitale, pour s’y occuper encore du bien-être de ses peuples. Sous ce rapport, on ne peut nier qu’il ne se soit quelquefois trompé ; mais au moins est-il bien sûr que ses intentions furent toujours pures et généreuses. Déjà il avait affranchi l’Estonie, la Livonie et la Courlande ; il apporta de grands adoucissements à la position des serfs dans le gouvernement de Minsk ; et il ouvrit l’année 1819 par un ukase qui accordait à tous les paysans de l’empire le droit, réservé jusqu’alors à la noblesse et aux négociants des deux premières classes, d’établir des fabriques et des manufactures. Il compléta l’organisation des six universités de Moscou, Wilna, Abo, St-Pétersbourg, Karkow et Kasan, et plaça les cultes luthérien et calviniste sous la protection du gouvernement, en établissant dans sa capitale un siége épiscopal pour ces confessions évangéliques. Et pendant ce temps il se montrait peu favorable au catholicisme : les jésuites, bannis en 1816 des deux capitales de la Russie, le furent définitivement de tout l’empire. On pourvut aux frais de leur départ ; et ils furent remplacés par des prêtres soumis à la surveillance de archevêque métropolitain. ─ Cependant le régime constitutionnel qu’Alexandre avait établi dans son royaume de Pologne, bien que modifié d’après les représentations de plusieurs cabinets, avait eu des résultats fort contraires à ses vues. Des scènes tumultueuses avaient éclaté à Varsovie ; et, lorsqu’au mois de septembre 1820 il fit, pour la seconde fois, l’ouverture de la diète, l’Espagne, le royaume de Naples et le Piémont étaient agités par les principes révolutionnaires ; son discours donna la mesure de son inquiétude. Il s’exhala en reproches contre l’esprit novateur qui troublait la tranquillité de l’Europe, frappa de réprobation les vaines théories invoquées de nos jours, et termina en déclarant qu’il ne transigerait jamais avec les principes qu’il s’était prescrits. Cette session fut très-orageuse ; et, dans une séance à laquelle assistaient le grand-duc Constantin et plusieurs officiers russes, un projet du gouvernement fut rejeté a la majorité de cent vingt voix contre trois. Alexandre forma aussitôt la diète, prit des mesures sévères contre les étudiants, contre la liberté de la presse, contre les sociétés secrètes, et parvint ainsi à comprimer la rébellion naissante. Ce monarque se rendit ensuite au congrès de Troppau (octobre 1820 ), qui fut transféré bientôt à Laybach. Dans ces deux réunions, on vit les princes signataires de la sainte alliance développer les principes de ce traité fameux, par l’introduction, dans la politique européenne, du droit d’intervention armée, et par l’application

  1. Le traité de Paris obligeait la France, non-seulement à payer une contribution militaire de 700 millions, mais encore à liquider toutes les dettes du gouvernement français et à indemniser les habitants des pays étrangers de toutes les pertes que leur avaient fait essuyer, pendant plus de vingt ans, les invasions des armées françaises. Alexandre insista auprès du cabinet de Berlin, et il écrivit personnellement au duc de Wellington, de Moscou, le 30 octobre 1817 (Voy. Biblioth. Histor., ou Recueil de matériaux pour servir à l’histoire du temps, 1818, t. 1er, p. 165), pour que l’on fit un traité supplémentaire à celui de Parts, qui modifiât les clauses inexécutables. Ce traité, conclu vers la fin de 1818, réduisit la somme imposée à 320 millions, sur lesquels 48 millions revenaient à la Russie. L’évacuation du territoire français fut arrêtée par le même acte.