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l’impulsion de tous les grands mouvements. et surtout à diriger ces négociations de Prague qui dureront autant que les alliés en eurent besoin pour masquer leurs préparatifs. La veille du jour où l’armistice expirait (17 août), le général Moreau arriva dans le camp des alliés[1]. L’empereur de Russie le nomma major général de son armée, et le chargea de dresser le plan de campagne. On pense que ce fut d’après ce plan que les allies choisirent la Bohème pour point d’appui de leurs opérations. Cependant, à la reprise des hostilités, Napoléon s’était enfoncé dans la Silésie, afin d’empêcher les troupes prussiennes (voy. Blucher) de se joindre aux Autrichiens. Les allies, voulant mettre à profit son absence pour s’emparer de Dresde, se portèrent avec rapidité sur cette ville ; mais, plus rapide encore, Napoléon était revenu dans la capitale de la Saxe, et une bataille sanglante fut livrée sous ses murs (26, 27 et 28 août). Les alliés, qui s’étaient mal engagés. furent vaincus. Ce fin dans la dernière de ces trois journées que l’empereur de Russie vit tomber à ses côtes, mortellement frappé d’un boulet, le géneral Moreau. Il lui prodigua d’abord toutes sortes de secours et de consolations, et il écrivit ensuite a sa veuve une lettre tort touchante. La défaite de Dresde fut la dernière que les alliés essuyeront dans cette mémorable campagne. Après avoir fait éprouver plusieurs échecs a différents corps de l’armée française, dans les combats de Kulm, de Gros-Beeren et de la Katzbach (voy. Blucher et Vandamme), ils resserrèrent tellement Napoléon dans ses retranchements de Dresde, et ils menacèrent ses communications de telle sorte, qu’il fut contraint de s’éloigner de cette place. Ils le poursuivirent et le resserrèrent encore sous les murs de Leipsick, où ils l’obligèrent d’accepter contre toutes leurs forces réunies cette terrible bataille des nations, ainsi qu’on l’a nommée. Elle dura trois jours (16, 17 et 18 octobre 1815). Napoléon y perdit la moitié de son armée, et il n’échappa lui-même avec l’autre moitié que parce que le corps autrichien qui devait occuper le seul point de retraite qu’il se fût ménagé n’avait pas réussi à s’en rendre maître. (Voy. Giulay.) Alexandre montra sur le champ de bataille de Leipsick du courage et de la présence d’esprit. Ce fut lui qui, le second jour, voyant le centre des alliés près d’être enfoncé, fit marcher son escorte contre la cavalerie des Français, et leur reprit vingt-quatre pièces de canon dont ils s’étaient emparés. Après une aussi grande victoire, les armées confédérées ne firent plus guère qu’une marche triomphale jusqu’au Rhin. Arrivés à Francfort (1er décembre), les trois monarques envoyèrent de nouveau à Napoléon des propositions de paix qui ne furent point acceptées, et ils publièrent alors sous le titre de déclaration un manifeste véhément, et portant que ce n’était point à la France qu’ils faisaient la guerre, mais à un pouvoir que, pour le malheur de l’Europe et de la France elle-même, Napoléon avait trop longtemps exercé. L’invasion de la France fut en conséquence résolue ; et cette invasion t’effectua en même temps par la Suisse, par Coblentz et par Cologne, dans les premiers jours de janvier 1814. Pendant deux mois la lutte fut très-acharnée et l’issue en parut plus d’une fois incertaine. Avec une poignée de soldats, Napoléon, réduit aux dernières extrémités, se montra peut-être plus grand et plus habile qu’il ne l’avait jamais été dans toute sa longue carrière militaire. Cependant ses moyens étaient tellement épuisés, la supériorité numérique des alliés était si grande, que leur triomphe devenait de jour en jour plus assuré. Le 1er mars, à la suite de nouveaux avantages obtenus à Craon, à Laon et à Soissons, mais qu’avaient balancés les brillantes opérations de Napoléon à Montmirail, à Montereau, etc., Alexandre renouvela et consolida son alliance avec les souverains de Prusse et d’Autriche, qui signèrent en personne le traité de Chaumont, et s’engagèrent comme lui à tenir constamment 150,000 hommes en campagne, et à poursuivre sans relâche la guerre contre Bonaparte, dans le cas où il refuserait les propositions qui venaient de lui être faites au congrès de Chatillon[2]. Dans cette campagne de 1814, si funeste pour la France et surtout pour les contrées que les armées étrangères eurent à parcourir, Alexandre, par ses manières affables, fit oublier quelquefois ces calamités dans les villes où le conduisit la victoire. Au reste, toutes ces démonstrations de bienveillance, qui lui étaient si faciles et si naturelles, n’ôtaient rien à la fermeté de son caractère quand il s’agissait d’une résolution qui intéressait sa politique et la direction des armées. Lorsque, après un échec de peu d’importance à Bar-sur-Aube, il fut question au conseil des souverains de repasser le Rhin, et que le général Schwarzenberg avait déjà commencé ce mouvement rétrograde, l’empereur de Russie s’opposa vivement à cette détermination, et il voulut que les alliés ne prissent aucun repos, n’accordassent à l’ennemi aucun relâche avant d’avoir atteint la capitale. Cette courageuse résolution eut les plus grands résultats ; et tandis que Napoléon, poursuivi par un corps de 10,000 hommes, arrivait à St-Dizier, croyant entrainer sur ses traces l’armée ennemie tout entière, la masse des troupes alliées se porta sur Paris. Avant d’arriver devant cette ville, Alexandre dirigea encore personnellement l’attaque de la Fère-Champenoise, et après cette victoire il ne rencontra plus aucun obstacle jusqu’aux murs de Paris. Quelques heures d’un combat meurtrier lui en ouvrirent les portes ; et il y fit son entrée le 31 mars 1815, à la tête de ses troupes, ayant à ses côtés le roi de Prusse. et saluant de la manière la plus gracieuse la foule des habitants qui se pressaient sur son passage. À son arrivée sur le boulevard, il s’écria plein d’émotion : « Je ne viens point en ennemi. Je vous apporte la paix et le commerce. La paix, l’amitié, le bonheur des

  1. Ce général fut amené par M. Swinine, agent russe que l’empereur Alexandre lai avait envoyé en Amérique.
  2. Il avait été définitivement proposé à Napoléon de lui garantir la possession de la France dans ses limites avant 1792. (voy. Napolélon.)