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qui ce prétendait issue du roi David, et qui depuis plus de douze siècles régnait sur la Géorgie. (Voy. George XI.) L’entrevue qu’Alexandre eut dans le mois de juin 1802, à Memel, avec le roi de Prusse, n’eut pour objet que l’indépendance de l’Allemagne menacée par les envahissements de la France. De retour dans ces États, il poursuivit ces réformes dans toutes les parties du gouvernement. L’administration de le justice attire premièrement son attention. Il abolit la torture et la confiscation des biens héréditaires [1] ; il constitua le sénat en une haute cour de justice ; et, voulant mettre fin à la lenteur des procès, il divisa ce corps en sept départements, dont toute l’occupation fut de juger une immensité d’affaires en retard. Des peines pécuniaires furent établies contre les magistrats prévaricateurs et contre les plaideurs obstinés. Enfin il fut décidé qu’en matière criminelle l’unanimité des juges serait nécessaire pour toute condamnation à mort. Alexandre s’occupait avec non moins de zèle des besoins du commerce. Il permit à la noblesse de s’y livrer, et cette décision, plus importante qu’on ne pense, fit entrer dans la circulation une grande masse de capitaux, et donna un nouvel essor à l’industrie. Enfin il réduisit les droits d’entrée sur plusieurs objets, et pour favoriser les manufactures il prohiba l’importation de beaucoup d’autres. Son ministre Romansoff ayant, par son ordre, rendu public un état général des affaires en 1802, on y vit que la balance dans les ports de la Baltique avait été de 18 millions, et de 4 dans ceux de la mer Blanche, en faveur de la Russie. Les sciences, les arts et les lettres ne reçurent pas moins d’encouragements ; un grand nombre de gymnases furent établis, et trois universités furent ajoutées à celles qui existaient déjà. Alexandre fonda encore des écoles de chimie, de médecine, de marine sur différents points ; et l’on a porté à plus de 2 millions de roubles (6 millions de francs) les sommes que, dès l’année 1805, il avait consacrées à ces établissements. Dans le même temps, secondé par la bienfaisance de sa mère, il fondait des hospices, des maisons de refuge pour les vieillards, les veuves et les enfants trouvés. Portant aussi ses regards sur l’agriculture, il attira dans le voisinage de sa résidence d’été, à Kamenoî-Ostroff, quelques fermiers anglais, chargés d’introduire les méthodes de leur pays. Ses vaisseaux amenèrent sur les côtes de la mer Noire des Suisses et des Allemands, qui transformèrent en vignobles florissante quelques districts incultes de la Crimée. Toutes ces opérations furent complétées par un nouveau système de recrutement, et l’ukase qui en 1803 appela au service militaire deux hommes sur cinq cents porta l’armée russe au total de 500,000 hommes. Ce n’est pas qu’Alexandre voulut alors la guerre ; mais il prévoyait que, dans la position où se trouvaient les affaires de l’Europe, il lui serait difficile de l’éviter. D’ailleurs, en annonçant à ses peuples son avènement au trône, il avait déclaré qu’il marcherait sur les traces de l’impératrice Catherine II, son aïeule. Or, tout le monde sait que le système politique de cette princesse fut d’étendre la civilisation dans les provinces les plus reculées de l’empire, et d’assurer la prépondérance ou plutôt la domination de la Russie sur l’Europe et sur l’Asie. Ou verra qu’Alexandre s’est montré toute sa vie fidèle à ce système. Ainsi qu’à tous les hommes d’État de cette époque, la paix d’Amiens lui semblait bien moins un traité de paix qu’une trêve. L’Angleterre, par une infraction manifeste à ce traite, gardait l’île de Malte ; et l’empereur de Russie lui-même continuait de tenir garnison dans les sept Iles, violant ainsi la convention faite en 1800 avec la Turquie. Il envoya même, en 1802, de nouvelles troupes à Corfou et sur les frontières de la Perse. Moins scrupuleux encore, le nouveau maître de la France s’emparait du Hanovre et du royaume de Naples, malgré les réclamations de l’Angleterre et de la Russie, qui exigeaient de lui une loyauté dont elles ne lui donnaient pas l’exemple. Dans le même temps il fit enlever à main armée, en pleine paix, sur le territoire germanique, un prince de l’ancienne maison de France, qui fut immédiatement mis à mort. (Voy. Enghien.) Ce dernier fait excita de la part d’Alexandre les plaintes les plus vives. Le czar refusa de reconnaître Napoléon comme empereur ; celui-ci se répandit contre lui en violentes invectives [2], et la guerre fut inévitable. Ainsi commença entre les deux colosses européens cette lutte qui devait être si longue, si sanglante, qui ne devait se terminer que par la ruine de l’un des deux adversaires. Alexandre s’y prepara avec autant de prévoyance que d’activité. Après avoir ordonné de nouvelles levées et dirigé toutes ses troupes vers l’Occident, il renouvela avec la Perse une trêve près d’expirer, et forma avec l’Autriche, l’Angleterre et la Suède, une coalition dont les forces disponibles ne devaient pas être de moins de 500,000 hommes. Mais, dès le mois d’octobre, l’Autriche impatiente s’était mise en campagne ; et les armées de François II, conduites par l’impéritie et l’inexpérience, avaient éprouve de grands revers (voy. Mack), lorsque les colonnes russes étaient à peine en marche. Comme il fallait que ces dernières traversassent une partie de la Prusse, et que cette puissance n’était pas encore dans la coalition, Alexandre se vit obligé de négocier avec elle. Il se rendit lui-même à Berlin, où sa présence entraina Frédéric-Guillaume III. Les deux monarques, descendus pendant la nuit au tombeau de Frédéric II, jurèrent sur le cercueil du héros prussien de rester inviolablement unis. On sait que cette scène un peu dramatique, qui n’eut d’autre témoin que la reine de Prusse, mais qui fut bientôt connue de toute l’Europe, a été d’une grande influence sur la suite des événements. De Potsdam Alexandre se rendit à Olmutz, où il joignit l’empereur François II, qui se retirait avec les débris de son armée, après avoir abandonné sa capitale. (Voy. Napoléon.) L’armée russe,

  1. Cette confiscation a néanmoins été pratiquée dans différentes occasions.
  2. Les journaux officieux de France accusèrent hautement Alexandre d’avoir participé au meurtre de son père.