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destinait au trône, à l’exclusion de Paul Ier, le tint soigneusement éloigné de son père. Cette prévoyante souveraine, ne voulant pas que des habitudes de soumission et de piété filiale devinssent plus tard un obstacle aux desseins qu’elle avait sur lui, le fit élever sous ses propres yeux. Ce ne fut même qu’avec beaucoup de peine que la mère du jeune prince put exercer sur la première éducation de son fils une influence qui lui appartenait à tant de titres. Alexandre eut pour gouverneur le comte Nicolas Soltykoff, et pour précepteur le colonel Laharpe. (Voy. ce nom.) Il étudia les mathématiques sous le colonel Masson, les sciences physiques sous le professeur Hrafft, et la botanique sous l’illustre Pallas. Les opinions philosophiques qu’il avait puisées dans les leçons de son précepteur le portèrent souvent à tempérer les maximes du pouvoir absolu, mais elles l’écartèrent aussi quelquefois des obligations, ou, si l’on veut, des nécessites de la royauté. Catherine avait recommandé qu’on ne lui enseignait ni la poésie, ni la musique, persuadée qu’elle, était que les moments du jeune prince pouvaient être plus utilement employés ; et, sans craindre que cette sévérité ne fût regardée comme la censure de sa propre conduite, elle veilla avec soin à ce que les mœurs de son petit-fils fussent de tout point irréprochables. On croit que ce rigorisme fut la cause principale du mariage prématuré qu’elle lui fit contracter des l’âge de seize ans (9 octobre 1793) avec Louise-Marie, troisième petite-fille du grand-duc Frédéric de Baden, qui prit, en entrant dans la communion grecque, le nom d’Elisabeth Alexiewna. (Voy. Elisabeth.) Pour que des voluptés précoces n’altérassent pas la constitution peu robuste de son petit-fils, Catherine lui fit interdire longtemps tout commerce avec son épouse ; mais ces précautions n’eurent pas tout le succès qu’en attendait l’impératrice. Alexandre fut ensuite écarté des affaires par la défiance ombrageuse de l’empereur son père ; et il avait atteint, dans de paisibles études, si vingt-quatrième année, lorsque une catastrophe sanglante le fit monter sur le trône. Dans la nuit du 23 au 24 mars 1801, Paul Ier ayant été assassiné au palais de Michaïlof, Alexandre fut aussitôt salue empereur par les conjurés dans la cour même de ce palais, où il attendait l’abdication, sans savoir toute l’étendue du crime qui allait être commis. (Voy. Paul Ier) Quand il apprit la mort de son père, il tomba dans un état de faiblesse tel qu’il ne put rentrer dans son appartement que soutenu par les officiers qui l’entouraient. Rien ne prouve qu’il eût prévu un aussi horrible dénoûment ; cependant il est certain qu’il avait eu des rapports avec les conjurés, et que le chef du complot (voy. Pahlen) avait habilement semé des défiances et des soupçons mutuels dans l’âme du père et du fils ; qu’il avait obtenu le consentement de celui-ci, non pour l’assassinat, que les conjurés eux-mêmes n’avaient peut-être pas prévu, mais pour l’arrestation de l’empereur et son abdication forcée. Ce qui prouverait encore cette assertion, si une foule de témoignages n’étaient venus l’établir. c’est qu’Alexandre n’infligea d’autre peine que celle de l’exil aux chefs de la conspiration, et que même plusieurs d’entre eux furent honorablement employés sous son règne. (Voy. Beningsen.) On a dit qu’il avait hésité d’abord à accepter la couronne ; mais, si cette hésitation fut réelle, il est au moins vrai qu’elle dura peu, et il est permis de croire qu’elle n’était pas sincère. Du reste, sa sûreté et celle de tous les siens. le besoin de préserver l’État de dissensions funestes, tout lui faisait un devoir de monter à l’instant même sur le trône. il quitta le palais où le crime avait été commis et où il habitait un appartement au-dessous de celui de son père, et se rendit au palais d’hiver, où il reçut les hommages et les serments de tous les corps de l’État. Quand le comte Pahlen vint le complimenter : « Monsieur le gouverneur, s’écria le jeune monarque, quelle page dans l’histoire ! ─ Sire, les autres la feront oublier, » répondit Pahlen. Les premiers actes du règne d’Alexandre justifièrent pleinement cette prédiction. Il s’empressa de révoquer les absurdes et vexatoires ordonnances qui avaient signalé les derniers moments de son père, et il disgracia tous ceux qui par leurs avis et leurs faux rapports avaient trompé la justice de Paul et contribué à diriger vers la tyrannie le caractère inquiet et soupçonneux de ce malheureux prince. Il délivra tous les prisonniers détenus dans les forteresses, et rappela de Sibérie cette foule d’exilés qu’y avait entassés un aveugle et capricieux despotisme. Voulant que le jour de son couronnement (27 septembre 1801) fût pour tous ses sujets un jour de fête et de bonheur, il amnistia les déserteurs, et renonça pour une année à toute espèce de recrutement. Les impôts furent réduits, les poursuites suspendues, et toute amende remise pour les débiteurs du fisc. Le commerce reçut de nombreux encouragements ; l’introduction des livres étrangers obtint une grande extension, et la liberté de la presse une latitude plus grande encore. Il est vrai qu’un peu plus tard Alexandre parut se repentir de quelques-unes de ces concessions, et qu’il y mit des limites ; il est également vrai que l’inquisition d’État, supprimée le 2 avril 1801, fut rétablie le 3 janvier 1802, sous la direction du prince Lapouchin ; mais si la sûreté de son empire et les besoins de sa politique obligèrent ainsi quelquefois, à revenir sur des décisions généreuses, il faut au moins reconnaître que ses intentions et ses premiers mouvements furent toujours fondés sur des vues d’humanité et de bienfaisance. Quant à l’extérieur, ses premières pensées et ses premiers rapports furent également pacifiques et généreux. Il mit fin, par une convention, aux différends que Paul avait eus avec la France, et parut vouloir sincèrement vivre en bonne intelligence avec celui qui, sous le nom de consul, en était devenu le souverain. Pour la Suède, il n’eut qu’à publier un traité de commerce qu’avait fait son père. Enfin ce fut autant peu rassurer la paix de l’Europe que pour effacer un ridicule de son malheureux père, qu’il renonça hautement au titre de grand maître de Malte, que s’était si bizarrement donné Paul Ier. Mais, loin de renoncer à la souveraineté de la Géorgie, ce fut lui qui termina l’incorporation de cette contrée à l’empire russe, déjà commencée par son père. Ainsi fut terminée la destinée d’une dynastie