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qui prirent le caractère d’une véritable sédition. Alexandre céda en frémissant, et, voulant au moins marquer le terme de ses conquêtes, il fit construire, sur le bord oriental du fleuve, douze immenses autels, semblables à des tours, et consacrés aux douze principaux dieux. Son retour fut environnée de dangers[1]. Revenu à l’Hydaspe, il embarqua son armée sur plus de 2,000 barques, et il descendit vers la mer, au milieu des acclamations des peuples voisins, qui accouraient de toutes parts, étonnés de la nouveauté de ce spectacle. Arrive à la jonction de l’Hydaspe avec l’Acésines, Alexandre débarqua ses troupes, et alla faire la guerre aux Malliens et aux Oxydraques, qui n’avaient pas voulu se soumettre. Assiégeant la ville des Oxydraques, il monta le premier à l’assaut[2] ; mais les échelles s’étant rompues, il resta seul sur le mur, en butte aux traits des ennemis. Ses soldats lui tendaient les bras, et lui priaient de se jeter au milieu d’eux ; il aima mieux s’élancer dans l’intérieur de la place, et se vit bientôt assailli par une foule d’ennemis. Ils se défendit seul longtemps, reçut une grave blessure et aurait fini par succomber, si les Macédoniens ne fussent parvenus à s’emparer de la ville. Alexandre ne tarda pas à se rétablir ; mais ses soldats, ne le voyant pas paraître durant plusieurs jours, crurent qu’il était mort ; et la consternation devint si grande, qu’il fut obligé de se montrer. Il subjugua ensuite les Malliens, fit prisonnier Oxyean qui s’était déclaré contre lui, et tomba a l’improviste sur Musican, autre prince indien, qui, forcé de se soumettre, et ayant repris les armes, fut vaincu et mis en croix par son ordre, avec les brachmanes qui l’avaient engagé à se révolter[3]. À l’arrivé des Macédoniens dans la Pattalène, l’Océan s’offrit pour la première fois à leurs regards ; et, le flux et reflux de la mer leur étant inconnu, ils n’y virent que des prodiges, et un indice de la colère des dieux. Néarque, commandant de la flotte, partit néanmoins des bouches de l’Indus pour se rendre par mer au golfe Persique, tandis qu’Alexandre alla reprendre par terre la route de Babylone. Ce prince n’ignorait pas toutes les difficultés qu’offraient les passages par la Gédrosie ; mais, ayant oui dire que Sémiranis et Cyrus y avaient perdu leurs années, il prit cette route pour les surpasser[4]. Ses troupes furent divisées en trois corps ; il se mit en marche dans le pays des Orithes et la Gédrosie, s’avançant dans d’immenses déserts, où, ne trouvant ni eau ni subsistances, son armée resta pour la plus grande partie ensevelie dans les sables. Il ne ramena en Perse que le quart des soldats qui l’avaient suivit dans l’Inde. À son arrivée à Pasagarde, il châtia des satrapes prévaricateurs[5]. À Suze, il épousa Barsine, fille de Darius, fit épouser la sœur de cette princesse à Ephestion, son plus cher ami ; et, le même jour, fit célébrer les noces de 10,000 Macédoniens avec 10,000 Persanes. Ayant ensuite assemblé, de toutes les parties de son vaste empire, 50,000 jeunes gens qu’il nomma épigones, c’est-à-dire successeurs, il les fit habiller, armer et exercer suivant la coutume des Macédoniens[6]. Le mécontentement de son armée, concentré depuis longtemps, éclata enfin, lorsque arrivé à Opis, sur le Tigre, il déclara, après avoir payé les dettes de ses soldats, que son intention était de renvoyer les invalides, et de ne garder auprès de lui que les hommes de bonne volonté. Cette déclaration parut n’être que le prétexte d’un véritable licenciement, et elle réveilla toutes les anciennes plaintes[7]. Des murmures, on passa aux propos offensants, et la révolte finit par éclater.

  1. Le mot de retour indiquerait qu’il va reprendre la route par laquelle il est venu : on va voir qu’il n’en est rien, puisqu’il rétrograda directement que jusqu’à Hydaspe (et sans péril dans cette partie de sa cours). Val. P
  2. Oxydraques n’est pas un nom propre : c’est tout simplement le nom de kchatrnas ou guerriers. La ville anonyme désignée était donc une ville appartenant à la caste des Kchatrnas. Peut-être se nommait-elle Kchatrnapour ou Kchatrnapatam (ce que les grecs traduisirent par ville des Oxydraques. Val. P.
  3. Il y aurait encore dans tout ceci beaucoup de détails curieux à donner. On peut mes lire dans Arrien, et nous les négligeons. Mais faisons du moins ressentir la physionomie générale de toute cette partie de l’expédition. On ne peut y méconnaître le projet bien arrêter de s’assurer le bassin du Sindh depuis le Pandjab, et de le connaître parfaitement. Il faudrait ensuite parler des établissements qu’il fit vers le delta du Sindh (un port, des chantiers, etc.).
  4. Ou plutôt pour préparer la soumission des milles petites frondes de toute cette côte de brigands et de sauvages. Le Gédrosie est le Beloutchistan, et offre encore beaucoup es traits qu’elle présentait à l’époque d’Alexandre. Le voyage dans toute cette contrée réunit l’attrait d’un voyage de découvertes et de l’Odyssée, comme le commencement de la conquête (le Granique, Issus, Arbelles) rappelle l’Iliade. On reconnaît alors chez lui, outre les talents du général, le coup d’œil du savant, du digne élève d’Aristote : il note les points importants, fait creuser des puits, il résout l’emplacement de futures colonies ; en un mot on voit partout le grand homme formé par une civilisation, et qui, pouvait s’intituler maître d’un immense territoire, prétend en plus ne pas en être le maître nominal, et ne pas laisser sur cent points divers de petits États sans foi ni lois, sans cesse en guerre en menaçant les provinces voisines. Voilà de ces pensés qui jamais n’avaient troublé le repos des Achéménides ! ─ Toute cette fin de l’expédition de l’Inde, et le voyage qui suivit, remplirent la plus grande partie de 326. Val. P.
  5. Et quelques grands macédoniens. Un des plus coupables, Harpale, trésorier général à Ecbatane, avait dilapidé des sommes énormes du trésor, et s’enfuit en emportant bien encore de 25 à 30 millions et suivi de 6,000 hommes. On ne croira pas que tous ces méfaits se commissent sans connivence et sans concert des officiers les plus puissants ; et ce concert supposait certainement des desseins sinistres contre Alexandre : beaucoup sans doute espéraient qu’il ne reviendrait pas, et tout prouve que sont retour fut un coup de foudre pour les coupables. Qu’on médite bien ce qui va suivre, on sera encore plus convaincu que le temps seul et la hardiesse manquèrent aux malveillants. Val. P.
  6. Évidemment Alexandre voulait se créer une armée d’Asiatique disciplinés, équipés et exercés à la macédoine. N’était-ce que pour doubler sa force, était-ce pour remplacer ses Macédoniens ? dans cette dernière hypothèse, la défiance que trahissaient ses mesures était-elle mal ou bien fondée ? Après tout ce que nous avons fait ressortir chemin faisant, nous ne doutons pas de la réponse. ─ Tous les faits liés au retour d’Alexandre vers le centre de l’empire se réfèrent à 323. Val. P.
  7. Nouvelle preuve des malveillances et des manœuvres dont il vient d’être parlé. Et notez que les Macédoniens n’ayant jamais considéré l’Asie que comme une proie, non comme une patrie, et ayant toujours visé à revenir chez eux riches de dépouilles après avoir pillé, la mesure d’Alexandre était précisément de celle qui devaient leur plaire. Gorgés de butin, comblés de dons, dotes, et venant de voir leurs dette payées, ils murmuraient qu’on leur donnait le congé ; et si Alexandre, par un décret contraire, les eût retenus près de lui au delà du temps voulu et malgré leurs blessures, il eussent murmuré aussi, et cette fois conformément à leur principes habituels. Comment douter, après cela, que touts les mécontentements ne fussent soufflés par des menaces ? Val. P.