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ALE

inutile, et qui, malgré de grandes dépenses, restait inférieure à celle des Perses. Étant à Éphèse, il y rétablit la démocratie, ainsi que dans toutes les villes grecques de l’Asie Mineure. À Gordium, il voulut voir le nœud connu sous le nom de nœud gordien ; il était si difficile à délier, que l’empire de l’Asie était promis, par les destins, à celui qui y parviendrait ; Alexandre, n’ayant pu en venir à bout, le coupa avec son épée. Il conquit la Lycie, l’Ionie, la Carie, la Pamphylie, la Cappadoce, en moins de temps qu’un autre n’en eût mis à les parcourir (25)[1] ; mais, s’étant baigné, tout couvert de sueur, dans le Cydnus (26)[2], il fut arrêté un moment par une dangereuse maladie. Tout le monde désespéra de sa guérison, à l’exception du médecin Philippe. Ce fut dans cette circonstance qu’Alexandre montra tout l’héroïsme de son caractère. Au moment où Philippe allait lui présenter un breuvage, ce prince reçoit une lettre de Parménion, annonçant que, gagné par Darius, Philippe doit empoisonner son maître (27)[3]. Alexandre remet la lettre à son médecin, et, en même temps, il avale le breuvage salutaire. Cette noble confiance fut suivie d’une prompte guérison. À peine rétabli, Alexandre s’avança vers les défilés de la Cilicie. La mort de Memnon venait de le débarrasser d’un adversaire dangereux ; et Darius, qui n’aurait jamais dû quitter

(25) 1o La flotte fut supprimée après la prise de Milet, et avant celle d’Halicarnasse. 2o Il avait passé Ephése et l’Ionie avant d’atteindre Milet. 3o Gordium ne le voit paraître que plus tard. 4o Au lieu de dire qu’il rétablit la démocratie partout, il faut dire qu’il accorde l’autonomie (sous la surveillance des gouverneurs généraux de province) aux villes grecques. 5o Après les deux siéges, continuant de suivre les côtes, il occupa la Carie d’abord, ensuite la Lycie, pois entra en Pamphylie. 6o Mais là, sentant le besoin de s’assurer plus ou moins des parties intérieures de l’Asie Mineure, il marcha au nord au moins 80 lieues, pour redescendre au sud par une ligne parallèle et orientale, relativement à la première. 7o Dans cette course à l’intérieur, il eut à se battre en Pisidie, et ne prit que de force beaucoup de leurs places : Célènes fit attendre sa reddition. 8o C’est dans cette série de courses aussi qu’il vint à Gordium, un des points les plus septentrionaux qu’il toucha. 9o Dans l’énumération des pays conquis alors par Alexandre, manque la Paphlagonie ( Alexandre n’y mit pas les pieds, mais elle fit sa soumission formelle et promit d’obéir au gouverneur macédonien de Phrygie, Calas) ; cette soumission, du reste, n’était que superficielle, tant qu’Alexandre n’était pas entièrement vainqueur de Darius, et maître paisible de tout l’empire, les petits dynastes voyant tout simplement dans l’invasion macédonienne une occasion ou une chance d’indépendance (voy. note 22). La Cappadoce (où régnait Ariarath II) fit comme la Paphlagonie, mais reçut un satrape direct (Sabict), lequel pourtant ne put rendre la domination macédonienne bien sérieuse. 10o Il faudrait ajouter que seule de toute l’Asie Mineure, la Bithynie, au milieu de ce bouleversement, se trouva libre, et n’obéissant ni à Darius ni à son rival. Val. P.

(26) Il était alors à Tarse, en Cilicie, par conséquent. Cette province (aujourd’hui pachalik, d’Adana) forme l’angle sud de l’Asie Mineure, et la liaison de ce pays avec la Syrie. — L’aventure du bain froid dans le Cydnus (du moins en tant que cause de la maladie) semble un embellissement des conteurs. Aristobule, un des généraux et historiens d’Alexandre, n’attribuait sa maladie qu’à la fatigue. Cette maladie, du reste, fut un bonheur (voy. note 28). On rapproche quelquefois de l’accident d’Alexandre la mort de l’empereur Frédéric Barberousse, qui, lors de la troisième croisade, en 1190, se noya, disent les Arabes, en se baignant dans le Cydnus. C’est dans le Calycadn, et en voulant passer le fleuve à cheval, qu’il faut dire. Val. P.

(27) Ce n’était point sans doute le premier piège tendu par les Perses au conquérant. Déjà en Carie l’on avait découvert un complot tramé, dit-on, par un Alexandre fils d’Ærop, et qui ne peut guère avoir été formé dans un intérêt exclusivement macédonien. (Voy. aussi note 11.) Val. P.


les plaines de l’Assyrie (28)[4], eut l’imprudence de s’engager dans un pays montagneux, et vint camper avec 300,000 hommes (29)[5] à Issus, entre la mer et les montagnes. Alexandre s’étant présenté aussitôt pour le combattre, Darius fut obligé de ranger ses troupes sur ce champ de bataille resserré, où l’immense supériorité du nombre ne fut pour lui qu’une cause d’embarras et de confusion (30)[6]. Alexandre, méprisant un tel ennemi, ne craignit pas d’étendre sa ligne de bataille depuis la mer jusqu’aux montagnes (31)[7]. Ses deux ailes étaient composées de soldats d’élite ; se plaçant lui-même à la droite, il renverse l’aile gauche des ennemis, où était Darius (32)[8], la met en fuite, poursuit le roi de Perse, et revient sur ses pas au secours de Parménion qui, à la tête de l’aile gauche, luttait difficilement contre 50,000 Grecs à la solde du roi de Perse. Rien ne put résister à la phalange macédonienne, encouragée par la présence d’Alexandre qui, malgré une blessure à la cuisse, se portait partout où le péril était le plus grand. Les Grecs auxiliaires, pris a dos, furent taillés en pièces, et cette victoire fit tomber entre les mains d’Alexandre les trésors (33)[9], ainsi que

(28) C’est une de ces fautes que l’on copie depuis des siècles, d’après le texte d’Arrien, qui a, ou non, écrit ainsi, mais qui se corrige par lui-même, en disant que Darius avait son quartier général à Sôkh, et voulait y rester, suivant l’avis du transfuge Annulas. La maladie d’Alexandre, et diverses autres causes qui retinrent ce prince en Cilicie, firent abandonner cette position par Darius (en ce sens la maladie de Tarse, en aidant à impatienter Darius, fut peut-être un heureux incident pour Alexandre). À présent, encore un mot, si l’on veut comprendre la journée d’Issus. Ces défilés de Cilicie (dont on parle plus haut) sont au nombre de deux : 1o pyles amaniques (en quittant la Cilicie et allant à l’est) ; 2o pyles syriennes (en quittant la Cilicie et allant au sud, en Syrie, tout près de la mer). Alexandre ne franchit pas les deux passages (c’est tout simple), il franchit les pyles syriennes, il fallait le dire. Nul doute qu’agissant ainsi, il n’eut son dessein et ne tendit un piège à Darius. Darius y donna : il commit l’incalculable faute, non-seulement d’abandonner les plaines de Sôkh, mais de les abandonner pour la Cilicie, c’est-à-dire de franchir le pas anianique, et de se mettre à la poursuite des Macédoniens. (Ici, énorme faute dans les traducteurs d’Arrien, qui mettent Alexandre derrière Darius, à dos de Darius, faute qu’on s’étonne de retrouver dans Ste-Croix.) A cette nouvelle, Alexandre traversa en hâte le pas syrien ; et c’est ainsi que Darius se trouve traqué dans l’angle sud-ouest de la Cilicie, entre le défilé amanique qu’il a derrière lui, et le défilé de Syrie qu’il a en avant. Val. P.

(29) Arrien dit 600,000 combattants. Nous préférons ici le chiffre faible, qui est très-fort déjà. Au reste, dans l’appréciation des témoignages, il faut penser que c’est une armée royale (évidemment Darius y avait presque toutes les forces du moment), que les rois de Perse agissaient par levées en masse, enfin, qu’il y avait dans cette armée toute la maison du roi, le harem, etc., etc. — On était en 553 ; la bataille du Granique avait eu lieu en 334. Val. P.

(30) En effet, il mit en ligne 90,000 hommes (30,000 Grecs et 60,000 Carduques, c’est-à-dire Kourdes) : tout le reste fut rangé derrière, sauf de la cavalerie qu’il fit agir en avant, tandis qu’il formait la ligne, puis sur l’une ou l’autre aile, et toujours assez mal. P-ot.

(31) C’était tout simple d’abord, parce qu’il n’y avait à cela aucun danger, et ensuite parce que, de cette manière, il évitait d’être tourné. La courbe formée par les montagnes (à droite d’Alexandre et à gauche de Darius) offrait de très-grandes facilités aux Perses pour cela ; ils s’en aperçurent et essayèrent, mais mollement, et, ce que l’on ne conçoit guère, avec de la cavalerie seulement. Alexandre subdivisa son aile droite, dont partie marcha en avant sur la gauche de Darius, et partie fit opposition à ceux qui voulaient tourner les Macédoniens. Val. P.

(32) Darius était couvert par le Pinare : Alexandre voulait le passer, et effectivement le passage eut lieu. Ce furent l’aile droite (moins le corps en observation ci-dessus) et la droite du centre qui passèrent d’abord. Plein fut leur succès : elles culbutèrent la gauche de Darius. Mais le centre se composait de la phalange, et tout le


  1. 1o La flotte fut supprimée après la prise de Milet, et avant celle d’Halicarnasse. 2o Il avait passé Ephése et l’Ionie avant d’atteindre Milet. 3o Gordium ne le voit paraître que plus tard. 4o Au lieu de dire qu’il rétablit la démocratie partout, il faut dire qu’il accorde l’autonomie (sous la surveillance des gouverneurs généraux de province) aux villes grecques. 5o Après les deux siéges, continuant de suivre les côtes, il occupa la Carie d’abord, ensuite la Lycie, pois entra en Pamphylie. 6o Mais là, sentant le besoin de s’assurer plus ou moins des parties intérieures de l’Asie Mineure, il marcha au nord au moins 80 lieues, pour redescendre au sud par une ligne parallèle et orientale, relativement à la première. 7o Dans cette course à l’intérieur, il eut à se battre en Pisidie, et ne prit que de force beaucoup de leurs places : Célèuesflt attendre sa reddition. 8o C’est dans cette série de courses aussi qu’il vint à Gordium, un des points les plus septentrionaux qu’il toucha. 9o Dans l’émunération des pays conquis alors par Alexandre, manque la Paphlagonie ( Alexandre n’y mit pas les pieds, mais elle fit sa soumission formelle et promit d’obéir au gouverneur macédonien de Pbrygie, Calas) ; cette soumission, du reste, n’était que superficielle, tant qu’Alexandre n’était pas entièrement vainqueur de Darius, et maître paisible de tout l’empire, les petits dynastes voyant tout simplement dans l’invasion macédonienne une occasion ou une chance d’indépendance (voy. note 22). La Cappadoce (ou régnait Ariarath II) fit comme la Paphlagonie, mais reçut un satrape direct (Sabict), lequel pourtant ne put rendre la domination macédonienne bien sérieuse. 10o Il faudrait ajouter que seule de toute l’Asie Mineure, la Bithynie, au milieu de ce bouleversement, se trouva libre, et n’obéissant ni à Darius ni à son rival. Val. P.
  2. Il était alors à Tarse, en Cilicie, par conséquent. Cette province (aujourd’hui pachalik, d’Adana) forme l’angle sud de l’Asie Mineure, et la liaison de ce pays avec la Syrie. — L’aventure du bain froid dans le Cydnus (du moins en tant que cause de la maladie) semble un embellissement des conteurs. Aristobule, un des généraux et historiens d’Alexandre, n’attribuait sa maladie qu’à la fatigue. Cette maladie, du reste, fut nn bonheur (voy. note 28). On rapproche quelquefois de l’accident d’Alexandre la mort de l’empereur Frédéric Barberousse, qui, lors de la troisième croisade, en 1190, se noya, disent les Arabes, en se baignant dans le Cydnus. C’est dans le Calycadn, et en voulant passer le fleuve à cheval, qu’il faut dire. Val. P.
  3. Ce n’était point sans doute le premier piège tendu par les Perses au conquérant. Déjà en Carie l’on avait découvert un complot tramé, dit-on, par un Alexandre fils d’Ærop, et qui ne peut guère avoir été formé dans un intérêt exclusivement macédonien. (Voy. aussi note 11.) Val. P.
  4. C’est une de ces fautes que l’on copie depuis des siècles, d’après le texte d’Arrien, qui a, ou non, écrit ainsi, mais qui se corrige par lui-même, en disant que Darius avait son quartier général à Sôkh, et voulait y rester, suivant l’avis du transfuge Annulas. La maladie d’Alexandre, et diverses autres causes qui retinrent ce prince en Cilicie, firent abandonner cette position par Darius (en ce sens la maladie de Tarse, en aidant à impatienter Darius, fut peut-être un heureux incident pour Alexandre). À présent, encore un mot, si l’on veut comprendre la journée d’Issus. Ces défilés de Cilicie (dont on parle plus haut) sont au nombre de deux : 1o pyles amaniques (en quittant la Cilicie et allant à l’est) ; 2o pyles syriennes (en quittant la Cilicie et allant au sud, en Syrie, tout près de la mer). Alexandre ne franchit pas les deux passages (c’est tout simple), il franchit les pyles syriennes, il fallait le dire. Nul doute qu’agissant ainsi, il n’eut son dessein et ne tendit un piège à Darius. Darius y donna : il commit l’incalculable faute, non-seulement d’abandonner les plaines de Sôkh, mais de les abandonner pour la Cilicie, c’est-à-dire de franchir le pas anianique, et de se mettre à la poursuite des Macédoniens. (Ici, énorme faute dans les traducteurs d’Arrien, qui mettent Alexandre derrière Darius, à dos de Darius, faute qu’on s’étonne de retrouver dans Ste-Croix.) A cette nouvelle, Alexandre traversa en hâte le pas syrien ; et c’est ainsi que Darius se trouve traqué dans l’angle sud-ouest de la Cilicie, entre le défilé amanique qu’il a derrière lui, et le défilé de Syrie qu’il a en avant. Val. P.
  5. Arrien dit 600,000 combattants. Nous préférons ici le chiffre faible, qui est très-fort déjà. Au reste, dans l’appréciation des témoignages, il faut penser que c’est une armée royale (évidemment Darius y avait presque toutes les forces du moment), que les rois de Perse agissaient par levées en masse, enfin, qu’il y avait dans cette armée toute la maison du roi, le harem, etc., etc. — On était en 553 ; la bataille du Granique avait eu lieu en 334. Val. P.
  6. En effet, il mit en ligne 90,000 hommes (30,000 Grecs et 60,000 Carduques, c’est-à-dire Kourdes) : tout le reste fut rangé derrière, sauf de la cavalerie qu’il fit agir en avant, tandis qu’il formait la ligne, puis sur l’une ou l’autre aile, et toujours assez mal. P-ot.
  7. C’était tout simple d’abord, parce qu’il n’y avait à cela aucun danger, et ensuite parce que, de cette manière, il évitait d’être tourné. La courbe formée par les montagnes (à droite d’Alexandre et à gauche de Darius) offrait de très-grandes facilités aux Perses pour cela ; ils s’en aperçurent et essayèrent, mais mollement, et, ce que l’on ne conçoit guère, avec de la cavalerie seulement. Alexandre subdivisa son aile droite, dont partie marcha en avant sur la gauche de Darius, et partie fit opposition à ceux qui voulaient tourner les Macédoniens. Val. P.
  8. Darius était couvert par le Pinare : Alexandre voulait le passer, et effectivement le passage eut lieu. Ce furent l’aile droite (moins le corps en observation ci-dessus) et la droite du centre qui passèrent d’abord. Plein fut leur succès : elles culbutèrent la gauche de Darius. Mais le centre se composait de la phalange, et tout le centre s’ébranla en même temps ; seulement il ne s’ébranla pas avec la même légèreté, et tandis que la droite du centre marchait de front avec l’extrême droite menée par Alexandre même, le reste du centre marchait et passait le fleuve moins vite. De là, après le passage du fleuve, un flottement sur la ligue de la phalange : les Grecs de Darius en profitèrent, et firent du mal au centre ennemi jusqu’à ce qu’Alexandre, vainqueur à droite, tombât sur eux. — La poursuite de Darius évidemment n’eut lieu qu’ensuite : 1o c’eût été une faille quand les centres étaient encore aux prises, et 2o Darius était au centre (non à la droite), et quoi qu’on en dise, ne prit la fuite que quand son centre plia. — Nous négligeons beaucoup de détails. Val. P.
  9. Dans le camp seul on trouva 5,000 talents (environ 17 millions), et bien des fois autant à Damas, où riaient la maison du roi, ses bagages, etc., etc. Val. P.