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le vainqueur en faisant périr sur un échafaud les comtes d’Egmont et de Horn. Cette exécution avait été précédé de celle de trente seigneurs moins distingués ; elle fut suivi du supplice d’une foule de malheureux, condamnés comme rebelles. Couvert de sang de tant de victimes, le duc d’Albe marcha contre le comte de Nassau, l’atteignit dans les plaines de Gemmingen, et remporta une victoire complète ; mais le prince d’Orange, chef des confédérés, parut bientôt avec une armée plus considérable. Le jeune Frédéric de Tolède, chargé de l’observer, envoya conjurer son père de lui permettre d’attaquer les rebelles. Le duc, persuadé que les subalternes doivent une obéissance aveugle et massive à leurs chefs, fit répondre à son fils, qu’il pardonnait à cause de son inexpérience : « Qu’il « se garde bien, ajouta-t-il, de me presser d’avantage ; « car il en coûterait la vie à celui qui se « chargerait d’un pareil message. » Le prince d’Orange, vaincu en détail, harcelé, poursuivi, fut contraint de se retirer en Allemagne, et le duc d’Albe acquit, dans cette campagne, une gloire qu’il flétrit bientôt par de nouvelles cruautés. Les bourreaux répandirent, par ses ordres, plus de sang que ses soldats n’en avaient versé les armes à la main ; et, comme il n’est que trop ordinaire, les représailles vinrent ajouter aux malheurs de l’humanité. Dans le parti opposé, le barbare Senoy livra à d’horribles exécutions les paysans catholiques. Cependant le duc d’Albe acheva de réduire les Flamands au désespoir ; il éleva de fortes citadelles dans les principales villes, et imposa de nouvelles taxes ; Malines et Zutphen, qui avaient résiste, furent livrées à l’avidité des soldats espagnols, et le duc publia un manifeste dans lequel il déclara que les citoyens n’avaient souffert que le juste châtiment de leur rébellion, et que les villes coupables devaient s’attendre à éprouver le même sort. Tout pliait sous son impitoyable rigueur. Le pape lui envoya l’estoc et le chapeau béni, que les souverains pontifes n’avaient accordés jusqu’alors qu’à des têtes couronnées. Cet honneur mit le comble à sa fierté. Déjà il avait donné lui-même son nom et ses qualités à quatre bastions de la citadelle qu’il avait fait construire à Anvers, sans y faire nulle mention du roi son maître ; et, lorsque la forteresse fut achevée, l’orgueilleux Espagnol y fit placer sa statue en bronze. Elle y paraissait avec un air menaçant ; la noblesse et le peuple étaient à ses pieds, et, sur le piédestal, était gravée une inscription fastueuse qui le représentait comme l’appui de la religion, le restaurateur de la paix et de la justice dans les Pays-Bas. Cependant es provinces de Zélande et de Hollande résistaient encore à ses armes. Son fils Frédéric prit Woërden d’assaut, et en massacra les habitants. Il fit ensuite le siége d’Harlem, et fut sur le point de le lever ; mais les vifs reproches de son père le lui firent continuer ; à la fin, la fatigue et la disette triomphèrent de la constance des assiégés. le vainqueur avait accordé des conditions supportables ; mais, trois jours après la reddition de la place, le duc d’Albe y vint lui-même, et satisfit sa vengeance en faisant périr un grand nombre de victimes auxquelles on avait fait espérer leur pardon. Alemaër fut ensuite attaqué ; mais le désespoir animait alors à tel point les Hollandais, que les vétérans espagnols furent repoussés avec perte et forcé de se retirer. Peu de temps après, une flotte, que le duc d’Albe était parvenu à mettre en mettre en mer à force de travaux et de dépense, fut entièrement défaite par les Zélandais ; la ville de Gertruydemberg fut surprise par le prince d’Orange, et les Hollandais opposèrent partout une résistance et un courage invincibles. Cependant Philippe II, las de voir que la rigueur ne faisait qu’accroître la résistance des rebelles, avait, depuis quelque temps, conçu le projet d’essayer d’une administration plus douce ; les derniers événements achevèrent de le décider : il rappela le duc d’Albe et nomma à sa place le duc de Medina-Cell. Celui-ci se rendit aussitôt à Bruxelles ; mais le duc d’Albe refusa, malgré les patentes et les ordres du roi, ; de lui remettre le gouvernement, se contentant de répondre qu’avant de se retirer il voulait en finir avec les rebelles. Philippe II envoya alors dans les Pays-Bas don Louis de Zuniga y Requesens ; commandeur de Castille, avec ordre de prendre la direction des affaires. Cette fois le duc obéit. Ce fut au mois de décembre 1575, que le duc d’Albe, après avoir publié une amnistie, quitta un pays dans lequel il se vantait d’avoir, en six ans, livré au bourreau plus de 18,000 individus. Le premier acte d’autorité de son successeur fut d’abattre la statue érigée à Anvers, de sorte qu’il ne resta du duc d’Albe, dans les Pays-Bas, que l’éternelle mémoire de ses cruautés. Il fut traité à Madrid avec distinction, et jouit quelque temps à la cour de son ancien crédit ; mais, un de ses fils ayant été arrêté pour avoir séduit une des filles d’honneur de la reine, qu’il avait promis d’épouser, le duc d’Albe favorisa son évasion, et le maria à une de ses cousines, contre la volonté de Philippe II, qui, pour cette offense, le bannit de la cour, et l’envoya en exil à son château d’Uzeda. Le duc d’Albe était depuis deux ans dans cet état de disgrâce, lorsque les succès de don Antonio, prieur de Crato, qui s’était fait couronner roi de Portugal, obligèrent Philippe II à recourir au général dont les talents et la fidélité lui inspiraient le plus de confiance. Il envoya un secrétaire demander au duc d’Albe si sa santé lui permettrait de reprendre le commandement d’une armée ; et, recevant une réponse pleine de zèle, il le nomma commandant suprême en Portugal ; mais, en même temps, il ne daigna ni lui pardonner son ancienne offense, ni lui permettre de venir à la cour. Cette sévérité de Philippe II, envers un général auquel il accordait tant de confiance, est, tout à la fois, un trait caractéristique de l’inflexibilité du monarque. et un rare témoignage rendu au duc d’Albe. Ce grand capitaine se montra digne de son ancienne réputation ; il entra en Portugal en 1581, gagna deux batailles en trois semaines, chassa don Antonio, se rendit maître de Lisbonne, et soumis tout le Portugal à Philippe II. Il s’empara des trésors