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j’en fus témoin, l’illustre défenseur de Louis XVI, et lui demanda s’il savait qu’il eût osé le faire agir et parler dans un drame, et revêtir des formes de la poésie quelques traits de cette éloquence par qui l’auguste client eût été sauvé, s’il avait pu l’être[1]. » Cette tragédie prouve mieux que des rétractations officielles quelles étaient les véritables opinions politique de son auteur. Elle ne prouve pas moins, par l’absence totale d’entente dramatique et du mérite de style, que les sentiments les plus vertueux ne peuvent tenir lieu de génie. Il s’y trouve cependant quelques vers heureux. Lorsque, après le 18 brumaire, les préfectures s’organisèrent, Aignan devint secrétaire général adjoint de celle du Cher, sous M. de Luçay, qui, deux ans après, nommé préfet du palais impérial, l’emmena à Paris comme secrétaire de ce préfectorat. Cette brillante position ne détourna point Aignan du culte assidu des lettres. De cette époque de sa vie, date une suite de publications qui manifestent, par leur variété, que l’auteur avait pour les genres les plus divers cette aptitude facile qui n’appartient qu’au génie ou à la médiocrité. La traduction des voyages et des romans anglais était alors une spéculation fort en vogue. Aignan sut l’exploiter avec profit, et voici les traductions qu’il fit paraitre, la plupart sous le voile de l’anonyme : 1° Abrégé du voyage de Mungo Park dans l’intérieur de l’Afrique, rédigé à l’usage de la jeunesse, avec des notes et un dictionnaire explicatif et descriptif, Orléans et Paris, 1798, in-12. Il existe des exemplaires datés de 1800 ; mais le titre seul avait été réimprimé pour réveiller le débit du reste de la première et unique édition. 2° Essai sur la critique, poëme en trois chants, suivi de deux discours, philosophiques, traduit en vers libres (pour traduction libre en vers), Paris, 1801, in-8o. Cette production fit avantageusement connaître Aignan comme versificateur ; 3° L’Amitié mystérieuse, 1802 ; 3 vol., in-12 4° La Famille de Mourtray, 1802, 5 vol., in-12. 5° Le Fugitif, traduit de l’anglais, de M. Smith, Paris, 1803, 3 vol. in-12. 6° Sigismar, par madame ***, auteur de Villeroy, Paris, 1803, 3 vol. in-12. 7° Le Ministre de Wakefeld, d’Olivier Goldsmith, Paris, 1803, in-12. C’était la plus estimée des six traductions françaises qui avaient jusqu’alors paru de ce chef-d’œuvre ; mais celle a été surpassée par celle de M. Charles Nodier. Aignan travaillait aussi pour le théâtre : ses opéras de Clisson, musique de Porta (1802), et de Nephtali, musique de Blangini (1806), ont été mentionnés avec éloge par la classe des beaux-arts dans le rapport pour les prix décennaux. En 1804, il avait donné, sur la scène française, Polyxène, tragédie en trois actes et en vers, qui n’eut qu’une seule représentation. Les fonctions qu’il exerçait dans le palais impérial avaient procuré à Aignan la protection du grand maître des cérémonies, Ségur, qui le fit nommer, en 1804, aide des cérémonies, et secrétaire impérial à l’introduction des ambassadeurs. Après le couronnement de Napoléon et de Joséphine, il fut, sous la direction de ce même dignitaire, chargé de la rédaction du texte pour le livre du Sacre de Sa Majesté l’Empereur, etc., de la Description des tableaux et explication des costumes, que, par une erreur bientôt reconnue, l’auteur du Dictionnaire des anonymes avait d’abord attribuée à M. Hochet. Aignan s’acquitta de cette tache avec beaucoup de soin. Cependant il travaillait depuis longtemps à une traduction en vers par laquelle il espérait se faire une véritable réputation littéraire : c’était l’Iliade ; mais cette traduction fut peu goûtée par les hommes du monde, qui la trouvaient froidement, versifiée ; et encore moins par les savants, qui pouvaient la comparer avec l’original. On faisait de plus au nouveau traducteur le reproche d’avoir emprunté une innombrable quantité de vers (12 à 1,500) à l’estimable, mais froide traduction de Rochefort. Ici, le seul tort d’Aignan était. d’avoir fait mystère de ces emprunts, qui sont tout à fait permis a un traducteur ; car, comme l’a dit un critique, « son premier devoir est de traduire fidèlement et élégamment son modèle : les moyens n’y font rien. » Il est vrai que dans la préface de sa seconde édition, publiée en 1819, Aignan s’exécuta de bonne grâce et dit en propres termes : « J’ai beaucoup profité de l’estimable traduction de M. de Rochefort. Je lui dois non-seulement des vers entiers ou faiblement altérés, mais la pensée, la coupe, le mouvement d’un grand nombre d’autres, qu’il serait difficile de reconnaître au milieu des changements qu’ils ont subis. » Que manque-t-il à cet aveu pour disculper Aignan de tout reproche de plagiat ? D’avoir été mis en tête de la première édition. Et il est assez curieux qu’Auger, qui, en pleine académie, entreprit de défendre Aignan à ce sujet, ait lui-même commis une escobarderie manifeste, en ne faisant pas cette distinction essentielle d’une édition à l’autre. Au surplus, dans la seconde, l’imitateur de Rochefort avait en partie refondu son travail. Le mariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise, en 1810, et la naissance du roi de, Rome, en 1811, lui avaient inspiré deux pièces qui n’étaient pas sans mérite : la première est intitulée : la Vision d’un vieillard dans la nuit du 12 décembre 1791, imprimée au Moniteur du 26 juin 1810 ; la seconde est une Cantate, mars 1811 La même année, il donna sur la scène française Brunehaut, ou les successeurs de Clovis, tragédie en cinq actes, dont la première représentation fut très-orageuse. Elle ne se soutint quelque temps à la scène que par le jeu de Mlle Raucourt, qui faisait le rôle principal. L’auteur avait retouché sa pièce ; mais il ne put corriger le vice du plan et l’absence de toute couleur. Toutefois, on y trouve quelques scènes

  1. Nous avons sous les yeux cette tragédie, formant 38 pages in-8o, avec cette annonce : À Paris, chez les machande de nouveautés, 1793 ; et cette épigraphe : J’ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes. Que ceux-là jouissent dans leur cœur de la tranquillité que doit leur donner leur façons de penser (Testament de Louis XVI). la brochure, imprimée sur de très-mauvais papier, le seul que l’on eût alors pour l’impression, porte l’écusson fleurdelisé. La 32e page contient 1° Faits historique sur Louis XVI ; 2° Lettre de Monsieur à l’abbé Fermont (pour Firmont), confesseur du roi. On doit observer que M. Berthevin, alors libraire à Orléans, eut part à cette tragédie par la composition du plaidoyer de Desèze. Elle fut réimprimée à Paris en 1796, in-18.