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il revint encore à Béther. Les disputes fréquentes qui survenaient entre ses bergers et ceux de Loth mirent l’oncle et le neveu dans la nécessité de se séparer. Le premier s’arrêta à Mambré, et le dernier alla s’établir à Gomorrhe. Informé quelque temps après que quatre rois, ou plutôt quatre chefs de quelques bourgades arabes, ennemis de celui de Gomorrhe, avaient enlevé Loth et tout ce qu’il possédait, Abraham les poursuivit à la tête de ses serviteurs, au nombre de trois cent-dix-huit, les défit, remit son neveu en liberté, et lui rendit ses troupeaux. Comme il revenait de cette expédition, Melchisedech, roi de Salem, et prêtre du Très-Haut, alla à sa rencontre, lui offrit du pain et du vin, le bénit au nom du Seigneur, et en reçut la dixième partie des dépouilles enlevées aux rois vaincus. Sara, épouse d’Abraham, âgée, de soixante-quinze ans, ne lui avait point encore donné d’enfants, et avait passé le temps où les femmes conservent l’espérance d’en avoir ; mais, comme c’était une espèce d’opprobre alors de mourir sans postérité, elle engagea ce patriarche à épouser sa servante Agar, dont il eut Ismaël. Cet enfant, né d’une esclave, ne pouvait être le dépositaire des magnifiques promesses que Dieu avait faites à Abraham, et qui étaient toutes liées à la destinée d’un fils qui devait naître de son épouse légitime. Ces promesses lui annonçaient qu’il serait le père d’un grand peuple (ce que désignait le changement de son nom d’Abram en celui d’Abraham) et que toutes les nations seraient bénies en son nom. Dieu ne lui avait pas laisse ignorer les diverses épreuves par lesquelles passeraient ses descendants, leur servitude en Égypte, leur délivrance miraculeuse, leurs longues courses dans le désert avant d’arriver dans la terre de Chanaan. Ces promesses lui étaient confirmées dans toutes les occasions, ici par des globes de feu qui sortaient du sein de la terre pour consumer la chair des victimes : là par l’établissement de la circoncision, pour être le sceau de l’alliance du Seigneur avec le patriarche et avec sa postérité, jusques aux dernières générations. Au moment où le grand âge des deux époux semblait devoir faire naître des doutes sur l’accomplissement de ces promesses, trois anges arrivent chez lui sous la forme de voyageurs. Leur mission était de punir Sodome et Gomorrhe, dont les iniquités avaient provoqué la destruction, et que le saint patriarche aurait cependant détourné par ses prières, s’il se fût seulement trouvé dix justes dans ces villes criminelles. Celui des trois anges dont les deux autres paraissaient n’être que les serviteurs, et que les anciens Pères ont regarde comme étant le fils de Dieu, assura Abraham qu’à leur retour, Sara serait devenue mère. En effet, quoique âgée de quatre-vingt-dix ans, elle conçut et enfanta Isaac, au terme fixé par l’ange. Lorsque cet enfant eut atteint l’âge de vingt-cinq ans. Dieu, pour mettre la foi d’Abraham à de nouvelles épreuves, lui ordonna d’aller lui immoler ce fils unique sur la montagne de Moria. Le patriarche, convaincu que celui qui qui avait fait naître Issac contre le cours ordinaire de la nature était assez puissant pour le rappeler à la vie, ou pour lui donner de nouveaux fils, se mit en devoir d’obéir au souverain arbitre de la vie et de la mort. La victime était déjà sur le bûcher, près de recevoir le coup fatal, lorsque Dieu, satisfait de cet acte mémorable d’obéissance, arrêta le bras du docile sacrificateur, qui substitua un bélier à la personne de cet enfant de la promesse. Sara mourut, et Abraham épousa Céthura, qui lui donna encore six enfants. Il termina ses jours a 175 ans, et fut enterré à côté de Sara, dans une caverne du champ qu’il avait acheté, pour sa sépulture, des fils de Heth. Tout est mystérieux dans les événements de la vie de cet illustré patriarche. Son nom, devenu célèbre parmi toutes les nations de l’Orient ; sa nombreuse postérité par Isaac et même par Ismaël ; cette suite de peuples et de rois issus de sa race ; la conquête du pays de Chanaan, possédé pendant tant de siècles par ses descendants ; les miracles signalés que Dieu opéra dans tous les temps en leur faveur ; la naissance du Messie accordée à sa postérité : voilà ce qui a frappé les Juifs dans les promesses faites à celui qu’ils reconnaissent pour leur père, et voilà ce qui fait la véritable gloire d’Abraham. Nous n’avons sur le Thot des Égyptiens, le premier Zoroastre des Perses, sur l’Hercule des Grecs, sur l’Orphée de la Thrace, et sur tant d’autres héros célèbres avec lesquels on a prétendu confondre Abraham, que des faits incertains, des époques douteuses, des récits opposés ou contradictoires. On a, au contraire, d’Abraham, une histoire suivie, détaillée, par un auteur qui touche à son temps, et dont le bisaïeul avait vécu plus de trente ans avec le petit-fils de ce patriarche. L’historien nous apprend l’origine de ce grand homme, ses voyages, ses vertus et ses fautes. Il marque aux Hébreux, rentrant dans le pays qu’Abraham avait habité, les lieux où ce patriarche, son fils et son petit-fils avaient fait leur résidence, les autels qu’ils avaient creusés, les terrains qu’ils avaient acquis, les peuples et les rois avec lesquels ils avaient eu des démêlés et fait des alliances. Il entre dans les mêmes détails sur les divers lieux que ses douze petits-fils avaient rendus célèbres par leurs aventures ou leurs crimes : il constate leur descendance, en produisant les généalogies sur lesquelles étaient fondés les droits de la nation à la possession de la terre promise. Enfin, le Dieu que tes Juifs adoraient, la terre qu’ils habitaient, leurs monuments, leurs traditions, leurs livres sacrés, tout annonçait Abraham. Les Arabes, comme les Juifs, toujours jaloux, toujours ennemis les uns des autres, se réunissent pour attester leur commune dépendance de ce patriarche, et ces deux peuples en portent l’empreinte et la preuve par la circoncision. Ce témoignage est confirmé par celui des peuples voisins et ennemis, tels que les Moabites et les Ammonites, qui prétendaient tirer leur origine du neveu d’Abraham ; par celui d’une foule d’auteurs même païens, qui tous représentent Abraham comme un personnage aussi distingué par ses richesses et par son rang, que célèbre par ses lumières et par ses vertus. Les Églises grecque et latine ont mis son nom dans leurs légendes. Il en est aussi question dans le Coran ; et quelques auteurs musulmans, entre autres rêveries concernant