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solitude à écrire les pensées qui avaient frappe son esprit. Elle était alors loin de songer qu’elle occuperait un jour le public, et ne pensait qu’a plaire à ses amis, sans avoir la moindre idée de son talent. Elle s’était d’ailleurs, jusques-là, bornée à quelques pièces de vers pleines de naturel, ou à quelques morceaux de prose dont elle seule ignorait le charme et la grâce ; enfin, entraînée par sa facilité, après avoir conçu un plan, elle écrivit de suite deux cents pages, et ces deux cents pages furent un roman plein de sensibilité et d’éloquence. Ce fut ainsi qu’elle fit Claire d’Albe. Un de ses amis, qui venait d’être proscrit, avait besoin de cinquante louis pour pouvoir sortir de France et dérober sa tête aux bourreaux ; Mme Cottin rassembla les feuilles éparses qu’elle venait d’écrire, et les vendit à un libraire pour en remettre le prix à une victime de la révolution. Ainsi le premier pas que fit Mme Cottin dans la carrière des lettres fut marqué par une bonne action et par un bon ouvrage : elle garda le plus profond secret sur l’une et sur l’autre. Le roman de Claire d’Albe, lorsqu’il parut, trouva dans le monde un grand nombre de partisans ; mais il trouva aussi quelques censeurs : Mme Cottin écoutait les critiques et les éloges avec la même indifférence. Lorsque par la suite elle fut connue du public, elle regrettait sincèrement le temps où tous les jours elle s’entendait louer, critiquer, juger avec franchise et sans aucun ménagement. Ce fut moins le succès de Claire d’Albe que le besoin d’écrire et d’épancher son cœur qui lui fit reprendre la plume. Bientôt elle publia Malvina, qui n’eut pas moins de succès que son premier ouvrage ; Amélie de Mansfield, remarquable par le plan et la composition ; Mathilde, où l’on admire trois caractères tracés avec une grande supériorité ; enfin, Elisabeth, ou les Exilés de Sibérie, où l’on retrouve partout la vive peinture des plus tendres et des plus vertueuses affections de l’homme. D’autres écrivains ont mieux connu que Mme Cottin le monde et ses ridicules, mais personne n’est allé plus avant dans les secrets du cœur, et n’a rendu les sentiments et les passions avec plus d’éloquence et de vérité. Elle avait une si grande facilité, que ses ouvrages ne lui contaient presque point de travail. Elle ne déroba jamais un instant ni à ses devoirs ni à la société de ses amis. Quoiqu’elle eût beaucoup écrit, elle avait pour maxime qu’une femme ne doit point écrire. Dans la première édition d’Amélie de Mansfield, elle faisait une censure très amère des femmes auteurs, et ne songeait point à faire une exception pour elle. C’est avec beaucoup de peine qu’elle consentit dans la suite à supprimer ce passage qu’on lui reprochait comme une inconséquence. Elle était de si bonne foi dans cette opinion, qu’elle ne pouvait se consoler d’avoir publié des ouvrages, surtout des romans, et de s’être livrée aux jugements des lecteurs. La raison qu’elle en donnait fait bien connaître son caractère. « Lorsqu’on écrit des romans, disait-elle, on y met toujours quelque chose de son propre cœur : il faut garder cela pour ses amis. » Son plaisir était de composer un roman ; lorsque l’ouvrage était publié, sa crainte et son ennui étaient d’en entendre parler. Lorsque ses amis louaient un de ses ouvrages, elle n’en était touchée que lorsque, dans leurs éloges, elle voyait une marque de leur amitié. Personne ne redoutait moins qu’elle une critique purement littéraire. Lorsqu’un de ses ouvrages était