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lv
iii. — l’ancienne et la nouvelle chanson

dis vers cette hypothèse que j’ai dû abandonner. Ces traits en effet, par exemple le long exil de Girart, suivi de sa réapparition à la cour du roi, ne peuvent en aucune façon être rattachés à l’histoire réelle. Il faut de toute nécessité qu’ils aient été inventés par quelqu’un. Et pourquoi ce quelqu’un ne serait-il pas l’auteur de l’ancienne chanson ? La même objection peut être opposée à l’hypothèse selon laquelle la chanson aurait été formée par la combinaison d’anciens chants populaires. Ce ne serait, d’ailleurs, que l’idée de Wolf sur les poèmes homériques appliquée à l’époque du moyen âge. Or, si l’hypothèse de Wolf est impuissante à expliquer la composition de l’Iliade et de l’Odyssée, elle s’applique plus mal encore à la formation de nos chansons de geste.

Il peut sembler étonnant que, dans un poème sérieux, qui assume toutes les apparences de la vérité, on ait en l’idée de faire jouer à Charles le Chauve et à Girart un rôle aussi contraire à la réalité. Mais quiconque est au fait de l’historiographie du moyen âge ne verra dans cette ignorance des faits historiques les plus considérables rien de surprenant. Qui donc, au xie siècle, savait quoi que ce fût de l’histoire des siècles passés, à part un petit nombre d’abréviateurs de vieilles annales vivant isolés au fond des cloîtres ? Les événements les plus graves tombaient dans l’oubli après quelques générations. Au xiiie siècle encore, l’ignorance des laïques, en fait d’histoire, est inimaginable. Veut-on savoir comment un chroniqueur laïque du xiiie siècle, se représentait la succession des rois de France au siècle précédent ? Écoutons l’auteur amusant et parfois bien informé qui, depuis l’édition de M. de Wailly, est connu sous le surnom de Ménestrel de Reims : « Il y eut en France, un temps après