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iii. — l’ancienne et la nouvelle chanson

lamenter sur la perte de ses parents et de ses amis, s’écrie : « Par Dieu ! je ne veux pas pleurer. Nous avons tous été élevés et dressés pour une telle fin ! Pas un de nous n’a eu pour père un chevalier qui soit mort en maison ni en chambre, mais en grande bataille par l’acier froid, et je ne veux pas porter le reproche d’avoir fini autrement ! » (§ 402). Faire ici la part de l’auteur primitif et celle du renouveleur, me semble bien hasardeux. Ce qui est certain, c’est qu’il y a dans la peinture des caractères une originalité de conception, une puissance et une délicatesse d’expression qui assignent à Girart de Roussillon une place à part entre toutes nos chansons de geste.

Notre auteur avait le don poétique. Il trouve des expressions d’une singulière élégance, des concetti qu’on s’attendrait plutôt à rencontrer chez un poète de la Renaissance que chez un romancier du moyen âge. Il veut dire que la reine parvient, à force de présents habilement distribués, à rallier à Girart les barons de la cour de son époux, qu’en cela consiste sa force. Il dira : « Là où la reine sait un vaillant damoiseau, elle envoie ses dons en argent, en or vermeil. Donner, ce sont ses tours et ses créneaux ! » (§ 560). Ailleurs, l’aspect des lances droites des guerriers chevauchant en bataille lui suggère l’idée d’un bois de frêne. Mais il ne procède pas par voie de comparaison. Bien plus poétiquement, il dit : « Boson, Fouchier, Fouque, Seguin, conduisent leurs enseignes à travers le bois de frêne. Le bois dont je vous parle est un bois où les frênes avaient pour fleurs des pointes d’acier, des enseignes de cendé et d’aucassin, des gonfanons ornés d’orfrois et fraîchement teints en pour-