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introduction

tière son impression. Ce romancier anonyme, de qui je voudrais savoir le nom pour l’inscrire parmi les plus illustres de notre ancienne littérature, sait, en quelques vers, tracer des tableaux d’une réalité frappante. Prenons comme exemple le meurtre du jeune fils de Girart. Le comte, au moment d’entrer en lutte contre le roi, et ayant cette fois le droit pour lui, a eu un mouvement d’orgueil en contemplant ses troupes assemblées ; il a pris entre ses bras son jeune fils âgé de cinq ans et a juré que jamais l’enfant ne perdrait son héritage. Écoutons ce qui suit :

620. Il y avait là un baron, Gui de Risnel, que Girart tenait pour le plus fidèle de ses hommes. Il était son serf et son sénéchal pour maints châteaux. Les paroles de Girart ne lui firent pas plaisir : il eut peur de voir la guerre recommencer, et le duc se révolter follement contre le roi. Il promit à l’enfant un oiseau d’or, le prit entre ses bras sous son manteau, le porta dans un verger sous un arbre, lui étendit le col comme à un agneau, et lui trancha la gorge avec un couteau. Il le jeta, une fois mort, dans le puits de pierre, monta à cheval et partit au galop. Quand il fut hors du château, il s’arrêta sous un ormeau, et, levant les yeux au ciel, il s’écria : « Ah ! traître et félon que je suis ! Je suis pire que Caïn, le meurtrier d’Abel. Pour l’enfant, je livrerai mon corps à la mort. » Il descendit à la grande salle sous le donjon, et trouva le duc dans la chambre, près d’une cheminée. Il lui tendit l’épée par le pommeau en lui contant de quelle façon il avait tué de ses mains le franc damoisel.

621. Le jour finissait, c’était le soir, et le lendemain le comte devait se mettre en marche avec l’ost. Gui lui tend l’épée par la poignée : « Comte, fais de moi justice à ton plaisir. J’aime mieux mourir, pendu ou brûlé, que de te voir recommencer cette guerre. » Le comte est désespéré : « Fuis, d’ici, traître, je ne puis plus te voir ! » Il appelle son chambellan don Manacier : « Fais sortir et taire tout le monde. » La comtesse