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girart de roussillon

Aibeline, leur disant : « Débarrassez-moi de cette brute qui m’énerve. »

649. L’impudent gars répondit alors : « Je ne sais pourquoi, à cause de Madame, je feindrais : je vaux mieux que le pèlerin avec qui elle va. Pourquoi sort-elle à une telle heure ? Voilà ce que je voudrais savoir. — Vil gars, est-ce que j’ai à vous en rendre compte ? Si tu en dis un mot de plus, je te ferai pendre. » Et le garçon descend les degrés, va à son hôtel ceindre son épée, monte à cheval et court faire au duc Girart des rapports pour lesquels il eût mérité la pendaison, car c’est la perversité et le mensonge qui l’inspirent.

650. Il rencontra le duc qui rentrait ; il le prit à part et lui conta pour vérité un grand mensonge. Le comte l’ouït ; il en fut fort affligé. Pour un peu, il se serait emporté contre le messager. « Si c’est un mensonge que tu me dis, que Dieu te protège ! » dit-il, « car je suis bien étonné qu’elle ait conçu une telle pensée !

651 — Sire, elle a jeté son dévolu sur un pèlerin. La nuit, elle sort avec lui quand le monde dort, en bas du château, où sont les jardins. — Je ne veux pas que mon serviteur m’apporte des nouvelles qui, à l’examen, se trouvent fausses. — Si je ne puis prouver mon dire, alors j’ai tort et je consens à mourir dans les tourments. » Lorsque le comte entendit ces paroles, il en fut si affligé, que jamais aucune nouvelle ne l’avait déconcerté à ce point. Il ne mangea de la journée et la nuit ne put dormir.

652. Girart se leva le matin, sans perdre de temps. Tandis qu’il chevauchait, il disait entre ses dents : « Ah ! comtesse amie, belle personne, intelligente, courtoise et sage, simple, affectueuse, douce, bien élevée, en quelles peines s’est passée ta jeunesse. À cause de moi, tu as vécu longtemps en grande pauvreté, et jamais tu ne m’as rappelé ta riche parenté, mais tu m’as conseillé et servi loyalement. C’est ton intelligence qui m’a tiré de la misère, ta sagesse