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girart de roussillon

592. Oudin assistait au jeu de la quintaine. Il dit une parole orgueilleuse : « Celui qui a arrangé cette affaire se prépare un grand malheur. Le roi est maître de tous les châteaux et de toutes les cités jusqu’à Mauguio[1]. » Et Girart répondit : « Est-ce que je cherche à les lui enlever ? Mais je suis prêt à faire à tous égards sa volonté. » La reine entendit ces paroles ; elle s’approcha d’eux : « Oudin, laissez cette querelle ; je le veux. Dès que je verrai mon seigneur le roi, je serai avec lui aussi bien que jamais et l’affaire prendra une autre tournure. Je vous permets de vous moquer de moi, si je ne réussis pas. »

593. Girart vit qu’on commençait à se quereller : il en eut le cœur affligé. La foule se portait vers la quintaine. Cent jeunes gens y ont frappé ; les uns ont atteint le but, les autres l’ont manqué, mais aucun n’a seulement faussé une maille du haubert. Le comte demande un épieu : Droon le lui présente ; c’était un épieu qu’avait porté Arthur de Cornouailles qui jadis fit une bataille[2] en Bourgogne. Le comte éperonna son cheval, pour le faire sortir du rang ; il frappa sur l’écu et en enleva un tel morceau qu’une caille aurait volé au travers, puis il rompit et trancha l’écu sous la ventaille. Il n’est chevalier qui le vaille ni qui ait jamais pu soutenir la lutte contre lui.

594. Le comte frappa si fortement que du coup il brisa l’une des attaches et arracha l’autre, tout en tenant son épée d’une main si ferme qu’il l’en retira. Et ses hommes disaient : « Quelle poigne ! Quand il fait la guerre, ce n’est pas pour prendre des brebis ou des vaches[3], mais il est acharné contre ses ennemis. Il leur a tiré du corps bien du sang. C’est un grand malheur qu’il ait été livré par le traître

  1. Oxf. Mirguel, L. Mergoil, P. (v. 7722) Meculh.
  2. Bataille peut s’entendre d’un combat singulier. Mais, de toute façon, j’ignore à quelle tradition il est fait ici allusion.
  3. Nous avons déjà rencontré cette expression au § 121.