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girart de roussillon

le pèlerin et sa femme et amenez-le-moi ici. » Il obéit, et amena Girart au palais par l’escalier de marbre noir, et le fit asseoir sur les degrés de la salle, auprès du dais[1]. Sa barbe avait cru et blanchi, et lui séait très bien sur la fourrure de gris. Il ne pensait pas que personne pût le reconnaître, mais le roi le reconnut aussitôt à son large visage. De colère il devint tout noir ; il maudit, au nom de Dieu, le pardon qu’il lui avait accordé et traita la reine d’enjôleuse.

547. Quand le roi vit Girart, il fut pris de colère ; il appela Otoer et Bertelais, le comte Aïmar et don Estais[2]. Il les emmène à un bout de son palais : « Seigneurs, c’est bien Girart, ce félon mauvais. Sur moi s’est abattu ce coquin puant ; mais je ne crois pas qu’il s’engraisse longtemps en ma cour, car demain je le ferai pendre à Montgelais. » La reine fit signe au comte Bertelais, qui accourut aussitôt, puis, prenant le roi par la main, elle l’attira à elle : « Ah ! sire roi de France, ami, que fais-tu ? Girart vient se livrer à vous, voilà le fait. Maintenant, roi, tu peux le faire pendre, le mettre à mort. Pourtant, il est prêt à jurer sur saint Gervais et à donner mille otages qui resteront en ta cour que jamais il ne vous faillira, pour rien au monde. Je serai son garant, avec Estais et tous les chevaliers d’ici à Aix. » Par ces paroles, elle lui casse le bec, et le roi lui concède tout ce qu’elle demande, et plus encore.

548. « Sire, » dit la reine, « puisque vous lui avez pardonné toute colère, tout ressentiment, rendez-lui une terre en plaine, une ville sans forteresse. Puis il n’y aura personne en France qui ose lui mettre le siège, à qui je ne fasse couper la tête ; et, si je ne le fais, tenez-moi pour une mauvaise femme ! » Et le roi répondit : « Je le veux bien. »

  1. La partie de la salle où était le dais et en même temps la place d’honneur était un peu plus élevée que le reste.
  2. Bertelais est peut-être identique au Bertolais du § 37, mais Otoer et Estais sont nouveaux.