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girart de roussillon

joie, et aussi tous les ennemis de Girart, grands et petits, mais non pas ces nobles hommes du temps ancien ; ceux-là eurent grande affliction, à cause de sa valeur, et la reine s’affligea plus que personne, pensant que le comte n’avait pas d’héritier qui pût, après sa mort, tenir un pied de sa terre. Laissons à parler du roi et de sa joie, et revenons à Girart qui était plongé dans la douleur.

523. Lorsqu’il se sépara des marchands, il entra en de mauvais sentiers où il rencontra beaucoup de passages difficiles et d’obstacles, de ronces, d’épines et d’églantiers. Il descendit en un val profond et noir et trouva, au bord d’une rivière, deux petits moutiers et un saint ermite nommé Garnier qui les hébergea de bon cœur. Il ne leur donna point de mets délicats, point de pluviers, mais du pain d’orge pétri avec de la cendre[1], et de l’eau de source. La nuit, Girart et sa femme dormirent jusqu’au lendemain, où il se remit en marche.

524. Or s’en va Girart au lever du soleil, par un étroit sentier, le long d’un chaume. Il trouva une source sous un tilleul et s’y coucha à l’ombre, à cause du soleil. Il voulut s’endormir, car il avait sommeil ; mais ne croyez pas qu’il dorme beaucoup, le comte : loin de là, il verse des larmes, se tire les cheveux, dit qu’il aimerait mieux être mort en champ de bataille, que le roi et ses fidèles l’eussent tué ; et sa

  1. Mot à mot, avec de la lessive, c’est-à-dire avec de l’eau mêlée de cendres. C’est ce qu’a bien compris l’auteur du roman de Girart de Roussillon, composé au xive siècle :

    La nuit les aubergea et leur donna pain d’orge,
    Pestri de fort lessai pour esdoucir la gorge.

    (Édit. Mignard, p. 101.)

    C’était un genre de mortification dont on a d’autres exemples. On lit dans Du Cange, sous lexuium (lisez lexivum), ce passage extrait de la vie d’un ancien anachorète : « De pilis camelorum induebatur et tunica, utebatur pane duro lexuio « (l. lexivo) composito. »