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girart de roussillon

homme lui dit de bonnes paroles : « Ami, avez-vous droite croyance ? — Sire, je mets mon espérance en Dieu. — Renoncez-vous envers tous à la vengeance ? — Sire, oui, hormis le roi de France. — Ami, ne lui avez-vous jamais fait de mal ? — Sire, oui, par sottise et par jeunesse. — Donc, repentez vous, de bon cœur. — Sire, jamais je ne prendrai pénitence jusqu’à ce que je lui aie fait voir la mort de près. Si jamais je puis porter écu et lance, je trouverai moyen de prendre vengeance de lui. — Grand péché, » dit l’ermite, « s’est emparé de toi.

518. — Brave homme, comment penses-tu arriver jamais à te venger ! Quand tu étais homme puissant, Charles t’a vaincu, c’est toi-même qui le dis. — Sire, » dit Girart, « je ne veux vous rien cacher. Si je puis parvenir jusqu’au roi Oton, recouvrer des armes et un cheval, j’essaierai de revenir en France, chevauchant nuit et jour. Lorsque Charles ira chasser dans les grands parcs, je sais bien les endroits où il tire à l’arc ; là je pense me venger de sa personne détestée. — C’est le péché, » dit l’ermite, « qui te fait parler. »

519. Quand l’ermite l’ouït, il s’irrita. C’était un homme lettré, qui avait beaucoup lu. « Brave homme, je sais qui t’a fait tomber si bas : c’est l’orgueil de ces démons cornus qui furent précipités du ciel. Dans le ciel, c’étaient des anges de grande puissance, l’orgueil les a fait devenir diables. Tu étais un comte de grande valeur, et maintenant péché et orgueil t’ont si abattu que tu ne possèdes que les vêtements que tu portes. Tu viens de m’avouer que si tu peux jamais avoir cheval, lance et écu, tu occiras ton seigneur en bois épais. C’est le péché, c’est le diable qui te trompe. J’ai peur qu’il te tue en telle disposition. C’est alors qu’il te possédera tout entier ! » Quand la dame entend parler le saint vieillard, elle se jette à ses pieds et les lui baise. Elle pleura longtemps, immobile. « Sire, pour Dieu, grâce pour ce malheureux ! » Et l’ermite la relève et lui